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Forces de police : Amnistie et impunité en Nouvelle Calédonie : les événements d' Ouvéa (1988)
Posté par acatparis5 le 1/3/2007 23:01:00 (5717 lectures)

Transcription de la conférence assurée par Cédric Michalski, chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de l'Université Nancy 2, membre de l'Institut de sciences criminelles et de droit médical – unité du Centre de recherche de droit privé (ISCRIMED-CRDP), le 25 janvier 2007 à la Maison fraternelle (Paris V) à l’initiative de l’ACAT Paris V.

L’ACAT Paris V remercie vivement Monsieur Cédric Michalski pour la qualité de son intervention.
Il est recommandé, pour une meilleure compréhension de cette conférence, de télécharger le document qui a été distribué aux participants.
Il est disponible à l’adresse suivante :
http://acatparis5.free.fr/html/modules/mydownloads/visit.php?cid=4&lid=101

Les deux lois d’amnistie adoptées à l’époque qui mettront un terme définitif à toutes les procédures judiciaires en cours et à venir, sont des actes éminemment politiques. Or précisément les événements d’Ouvéa sont d’entrée de jeu de nature politique.

Une affaire hautement politique et le drame de la malchance

La Nouvelle Calédonie est agitée depuis le début des années 1980 par des troubles liés à un processus de décolonisation. L’attaque de la brigade de gendarmerie de Fayaoué par des indépendantistes le 22 avril 1988 a été déclenchée afin de protester contre la décision prise en janvier de la même année par le Ministre des DOM-TOM d’alors, Bernard Pons, de faire coïncider deux scrutins majeurs : l’élection présidentielle et le vote sur le statut territorial. Or cette décision contrarie la politique de boycott actif menée depuis plusieurs années par le FLNKS concernant le statut territorial. L’attaque de la brigade de gendarmerie de Fayaoué s’inscrivait dans un ensemble d’actions menées par le FLNKS sur la totalité du territoire de la Nouvelle-Calédonie. Si la décision de lancer un tel plan d’action a bien été prise par l’état-major du FLNKS, sa mise en oeuvre pratique en est déléguée aux comités locaux.
La malchance voudra qu’au moment de l’attaque, la brigade territoriale est renforcée momentanément par deux escadrons de gendarmes mobiles envoyés en renfort par la métropole pour sécuriser le territoire. Si une brigade territoriale a bien pour objectif d’accueillir le public, un campement de gendarmerie mobile est au contraire destiné à être défendu contre des incursions. Or les gendarmes mobiles se trouvent ce 22 avril dans l’enceinte de la brigade territoriale et ils sont désarmés. Au moment de l’arrivée des indépendantistes, les gendarmes vont aller chercher des armes et vont riposter ce qui constitue une première. En effet, en février de la même année, une autre brigade de gendarmerie avait été investie par des indépendantistes à Poindimié mais aucun coup de feu n’avait été tiré car les gendarmes ne se sont pas défendus. A Fayaoué, à la suite des échanges de coup de feu, quatre gendarmes vont être tués .- Premier incident grave non prévu -. À la suite de quoi, deux groupes d’otages vont être constitués le premier se dirigeant vers le nord en direction de Gossanah et le second vers le sud en direction de Mouly. Les otages du groupe Sud vont être libérés assez rapidement sous l’impulsion du lieutenant-colonel de gendarmerie Benson, qui a repéré le lieu de détention du groupe sud. Les otages du groupe nord vont se retrouver enfermés dans une grotte sur le territoire de Gossanah qui est située au fond d’une cuvette corallienne difficilement repérable. Si, dès le 22 avril, des équipes de reconnaissance de la gendarmerie passent devant l’entrée de la grotte, celles-ci ne remarquent rien ce qui met en évidence la densité extrême de la végétation à cet endroit. L’entrée de la grotte ne sera repérée que le lendemain par le lieutenant Destremau, du régiment de marine du Pacifique Sud, aidé par un pisteur local. Eux aussi seront pris en otages. L’affaire s’engage donc très mal. La réaction de la métropole ne se fait pas attendre et elle prend immédiatement une tournure politique. Dès le 22 avril à la suite de l’attaque de la gendarmerie, le Haut Commissaire du gouvernement, Clément Bouhin, l’équivalent d’un préfet en métropole, réquisitionne à 14 heures la force armée pour faire cesser les troubles à l’ordre public causés par la prise d’otage. Le Haut Commissaire avait au départ le choix entre deux options :
- l’appel à la police judiciaire sous l’autorité du Parquet pour infraction au code pénal
- le recours à l’armée sous l’autorité de l’exécutif pour trouble à l’ordre public.
A t-il privilégié la seconde option de sa propre volonté ou bien a t-il subi des pressions de la part de sa hiérarchie à savoir le Ministre des DOM-TOM ? J’ai tenté, sans succès, de joindre Clément Bouhin pour connaître sa version des faits.
La première réquisition prise par les autorités civiles fixe comme objectif à la force armée de faire cesser les troubles et de retrouver les otages. Une seconde réquisition, complémentaire à la première, autorise les forces armées de faire usage de leurs armes, ce qui implique que l’exécutif se décharge de la conduite des opérations au profit du commandement militaire. Un général de gendarmerie, le Général Jérôme, est dépêché sur place par la métropole pour diriger l’ensemble des recherches ; il est rapidement dessaisi du commandement au profit du général Vidal, responsable des forces armées en Nouvelle Calédonie.
Ainsi, dès les premiers jours, l’autorité judiciaire est absente et la gendarmerie est priée de se retirer de la conduite des opérations au profit de l’autorité militaire. C’est donc l’armée régulière, dite « force armée de troisième catégorie », qui est chargée de rétablir l’ordre.
Les événements d’Ouvéa sont donc dès le début des événements à caractère politique puisqu’ils s’inscrivent dans la stratégie de boycott des élections menée par le FLNKS d’une part et que d’autre part la réaction des autorités civiles en confiant la responsabilité des opérations au commandement militaire qualifie ipso facto la prise d’otage non pas d’infraction au code pénal mais de trouble à l’ordre public.
Le 24 avril, l’affaire se trouble encore car c’est le premier tour de l’élection présidentielle. Deux jours après l’attaque de la brigade. Et on constate que François Mitterrand prend l’avantage sur Jacques Chirac. Pendant ce temps, un autre candidat à la présidence, Jean-Marie Le Pen déclare, lors d’un entretien, que les Canaques doivent se soumettre ou bien ils doivent être éliminés . Certains analystes politiques affirmeront que l’attitude intransigeante de Jacques Chirac alors Premier ministre, sera motivée alors par le fait de ne pas apparaître comme laxiste aux yeux de l’électorat d’extrême droite dont il a besoin pour gagner l’élection.
C’est donc à nouveau la malchance qui va frapper les personnes impliquées dans ce drame puisqu’elles seront également les pions d’un enjeu électoral immédiat.
L’affaire va encore se compliquer avec l’arrivée du GIGN le 27 avril sur place. En effet, à l’approche du GIGN aux abords de la grotte, celui-ci est repéré par les preneurs d’otage et six gendarmes (sur les douze présents) vont être amenés à se rendre pour éviter une fusillade généralisée. Six nouveaux otages donc, parmi l’élite de la gendarmerie.
La décision de se rendre a été prise par le capitaine Legorjus, responsable du GIGN alors qu’il est accompagné par le substitut Bianconi, représentant du parquet de Nouméa, qui est présent sur les lieux à titre d’observateur.
Le parquet de Nouméa est partagé entre ceux qui sont enclins à la fermeté et ceux qui sont pour le dialogue avec les indépendantistes. Le substitut Bianconi connaît bien les milieux kanak.
Alors qu’il s’approche de la grotte, le substitut Bianconi, pensant qu’il va pouvoir dialoguer avec les preneurs d’otages, s’avance avec des bouteilles d’eau et se met à découvert en dépit des alertes du Capitaine Legorjus. Pour éviter de laisser seul le substitut alors qu’il est déjà dans la ligne de mire des preneurs des otages, le Capitaine Legorjus se désarme et le rejoint. Tous les deux sont donc pris en otages - le chef du GIGN est pris en otage !
Sachant que ses hommes ont été repérés et sont également dans la ligne de mire des preneurs d’otage, le Capitaine Legorjus ordonne alors « aux six gendarmes qui [l’] accompagnent » de se rendre. Ce coup de bluff lui permet de mettre à l’abri les six autres gendarmes qui composent son escouade.
Dans la grotte se retrouvent donc détenus une trentaine de gendarmes mobiles, six gendarmes du GIGN, le Lieutentant Destremau, le substitut Bianconi et le chef du GIGN.
Le capitaine Legorjus, qui est un négociateur, commence à parlementer avec les ravisseurs qui demandent, d’une part qu’une négociation politique se mette en place entre un membre du bureau du FLNKS et les autorités de l’État et que, d’autre part, les forces armées reculent du périmètre (ce qui sera fait quelque temps plus tard).
Le Capitaine Legorjus sera autorisé par les ravisseurs, comme le substitut Bianconi un peu plus tard, à faire la navette, en tant que médiateur, entre la grotte et le QG des opérations militaires installé sur la commune de St Joseph.
Le bureau du FLKNS qui répond mollement à la demande de dialogue qui lui est transmise par le Capitaine Legorjus, délègue Franck Wahuzue.
Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, qui est arrivé sur place entre temps, dirige les négociations.
L’un des ravisseurs, Alphonse Dianou, qui passe pour le chef de cette équipe, comprend rapidement qu’il est lâché par le FLNKS. L’action dans laquelle il s’est engagé dans le cadre d’une initiative lancée par le FNLKS, a en effet très mal débuté avec le décès de quatre gendarmes et elle a donc perdu sa légitimité politique. Au lieu de se rendre, Alphonse Dianou va choisir la fuite en avant et va radicaliser des positions au fil des jours.
La situation va encore se compliquer car au moment de la prise d’otage des membres du GIGN, les ravisseurs vont s’emparer du matériel du GIGN dans lequel se trouve une liste nominative des gendarmes présents sur l’île sur laquelle figure le nom qui retient immédiatement leur attention : Jean-Pierre Picon. Ce nom est associé à la mort d’Eloi Machoro en 1985, un indépendantiste qui a été tué lors d’une opération du GIGN. Tir accidentel pour le GIGN, assassinat selon les indépendantistes. Les preneurs d’otages se doutent fortement que Jean-Pierre Picon fait partie des otages qu’ils détiennent. Ils sont sans doute tentés de vouloir prendre leur revanche sur le décès d’Eloi Machoro. Ils vont donc commencer à interroger les membres du GIGN. D’après une conversation que j’ai eue avec Jean-Pierre Picon, celui-ci avait décidé qu’il dévoilerait son identité dès l’instant où il jugerait que la vie des autres membres du GIGN était en danger. S’il ne s’est jamais dénoncé, c’est bien qu’il a estimé que la vie de ses compagnons d’arme n’était sérieusement menacée. Toute l’agressivité des ravisseurs va se cristalliser néanmoins sur les membres du GIGN qui sont détenus en bas de la grotte, enchaînés deux à deux, tandis que les gendarmes mobiles sont parqués sur la partie haute et ne font l’objet d’aucun harcèlement particulier.
La décision de lancer l’assaut sur la grotte va donc être motivée par la situation précaire des membres du GIGN.
Le 4 mai, la veille de l’assaut de la grotte, est également une date importante, celle de la libération des otages français détenus au Liban : Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kaufmann.

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