Menu Principal
Index thématique
Recherche sur le site
Les articles les plus consultés
Page (1) 2 3 4 »
La question du genre : Des femmes tondues à la Libération par Fabrice Virgili
Posté par acatparis5 le 25/5/2009 10:31:59 (4280 lectures)



Des femmes tondues à la libération




La France « virile » Des femmes tondues à la Libération


Transcription de la conférence de Fabrice Virgili , chargé de recherche à l'IRICE-CNRS- Université Paris 1 , le 13 mars 2008, à la Maison fraternelle (Paris 5 ème ), à l'initiative de l'ACAT Paris V en association avec l'ERF Quartier Latin-Port Royal.


L'ACAT Paris V remercie vivement Monsieur Fabrice Virgili pour la qualité de son intervention.


Résumé  :


La France sera virile ou morte », a-t-on dit en 1944. Virile, elle le fut, et les tontes des femmes accusées de collaboration en témoignent. Sur cet épisode de notre histoire qui, aujourd'hui encore, continue de susciter un malaise, on croyait tout savoir : ayant couché avec l'ennemi, des femmes avaient été violemment punies, dans un très court laps de temps, par des foules vengeresses et des résistants de la dernière heure.


La recherche menée par Fabrice Virgili révèle notamment que la moitié seulement de ces femmes avaient eu des relations sexuelles avec les Allemands ; que les tontes n'eurent rien d'éphémère, puisqu'elles s'étalèrent de 1943 à 1946 —- deux dates qui impliquent que, parmi les tondeurs, il y eut aussi des résistants et que les autorités, après la Libération, couvrirent » cette pratique ; et que vingt mille personnes environ furent touchées, de tous âges et de toutes professions, dans la France entière.


Que s'est-il réellement passé ? Pourquoi des femmes ? Et quel sens donner à cet événement ?



Le cliché de la jeune femme innocente tondue par une foule spontanée et haineuse pour avoir « couché » avec un allemand.


Ce n'est que petit à petit, à partir de questions très simples, que j'ai pu m'apercevoir que ce cliché ne fonctionnait pas, qu'il ne correspondait pas à la réalité.


Les questions élémentaires que je me suis posées sont les suivantes :



  • Ces violences ont-elles eu vraiment lieu ? – au-delà de quelques photos emblématiques comme celle de Robert Capa à Chartres où l'on voit une femme tenant un enfant dans les bras.

  • Est-ce que des événements similaires se sont déroulés ailleurs qu'à Chartres ? Quand ? À la Libération ? Uniquement à la Libération ? Qui est tondu ? Comment cela s'organise-t-il ? Et pourquoi ces événements ont lieu ?


Le mythe de l'incident spontané et isolé


Sans aucun doute, ces violences ont lieu massivement à la Libération. Mais quand on commence à chercher, on en trouve aussi plus tard au cours de l'hiver, à nouveau au début de l'été 1945 et jusqu'en février/mars 1946. Les tontes ne s'arrêtent donc pas immédiatement après la Libération, ce qui correspond pour les 2/3 du territoire français à la période qui s'étend du 15 août au 15 septembre 1944.


Ce premier constat change déjà la nature du problème. On ne peut pas alors considérer qu'il s'agit uniquement d'un phénomène spontané et isolé dans le temps. C'est un phénomène qui dure et commence d'ailleurs avant le débarquement dès 1943 avec des menaces de tontes en 1942, en 1941. L'idée d'un châtiment corporel des femmes qui ont des relations avec des Allemands apparaît dès juillet 1940 quand dans un pamphlet écrit dans la clandestinité par un socialiste, Jean Texier, qui donne des conseils de comportement aux Français. Parmi l'ensemble des conseils on trouve par exemple -ne pas tenir la porte à un allemand, s'il vous demande où aller ne pas lui donner le bon chemin-, à un seul moment il envisage un châtiment corporel c'est quand des femmes sourient trop tendrement à un allemand. L'idée de la tonte apparaît dans les premiers tracts de la résistance en 1941, les premières tontes ayant eu lieu en 1943.


L'explication selon laquelle le mouvement serait spontané, ne peut donc plus être retenue.


De plus, si les premières tontes ont lieu en 1943, ce ne sont pas les résistants de 25 e heures qui peuvent en avoir été responsables comme on a eu coutume de l'affirmer jusqu'à présent.


Il y a bien des hommes qui tondent des femmes dans la clandestinité en 1943 qui sont arrêtés et déportés pour ce motif. Car pour les Allemands, cela ne fait aucun doute que tondre une femme en 1943 ou en 1944, constitue un acte de résistance.


Ces tontes ont lieu la nuit, lors de l'attaque de domiciles de collaborateurs. L'un des objectifs de la résistance consiste en effet à tenter de faire changer la peur de camp. Alors que la population et les résistants en tout premier lieu vivent sous la crainte de représailles de l'occupant, l'idée de la résistance est d'essayer d'intimider les collaborateurs en attendant le jugement qui interviendra à la Libération. La tonte est donc un moyen de faire peur à ceux qui seraient tentés de se rapprocher trop des Allemands.


Pour l'après libération, d'avril à juin 1945, dans un bon tiers des départements français, on constate une recrudescence des tontes car plusieurs événements se déroulent à ce moment-là :



  • Le retour des déportés, des prisonniers et des travailleurs forcés d'une part

  • Le retour des travailleurs volontaires et de celles et ceux qui ont suivi en Allemagne l'armée allemande en retraite d'autre part.


On constate alors une recrudescence de l'épuration. Et à ce moment-là, les femmes de retour d'Allemagne sont tondues sur les quais de gare dès leur descente de train. Tandis que les femmes qui ont été tondues au moment de la Libération, ont subi, quant à elles, leur châtiment sur les places publiques (églises, mairies).


Les tontes et toutes les dernières violences extrajudiciaires de l'épuration cessent au début de l'après-guerre que l'on situe habituellement à janvier 1946, date de la mise en place de la quatrième république et du départ du Général de Gaulle du gouvernement.


Où châtie-t-on ?


Tous les départements français ont été touchés, dans les grandes villes comme dans de petits villages. Si je ne pouvais pas chercher dans tous les villages, j'ai choisi en revanche un certain nombre de départements témoins l'Oise, les Côtes du Nord, l'Indre, l'Isère, la Moselle par exemple.


Dans ces départements, j'ai pu observer que des tontes avaient eu lieu dans de petits villages. Et ceci indépendamment de toute tendance politique : les territoires de gauche comme ceux de droite sont touchés. La ligne de démarcation n'a joué aucun rôle : les tontes se produisent d'un côté comme de l'autre de l'ancienne ligne de démarcation. En pays rural, en pays urbain, en montagne comme en plaine. Aucun paramètre ne différencie, au regard de la pratique des tontes, les différents départements français. Les tontes qui ont lieu à la Libération et qui représentent environ les 2/3 tiers de celles qui ont été pratiquées, se déroulent dans l'ensemble du territoire.


Si l'on raisonne en terme d'événement, on pense naturellement aux grands événements majeurs comme le débarquement en Normandie ou la bataille de Stalingrad qui ont modifié le cours de la guerre.


Si, en revanche, on raisonne en terme de vécu par les individus de ces événements, l'événement du débarquement par exemple n'a été vécu que par les soldats alliés qui débarquent, les soldats allemands qui sont en face et les populations normandes qui sont dans la région. Mais le reste des Français vit cet événement par les informations, par l'espoir qu'il peut susciter ou au contraire le désespoir. C'est un vécu indirect. Tandis qu'avec les tontes, comme l'exode en mai juin 1940 qui fut vécu par 8 millions de personnes, sont des événements vécus directement par des millions de gens. J'estime à 20 000 les femmes qui ont été tondues à la Libération. S'il est déjà difficile de compter les morts d'une guerre, pour ce type de violence qui, loin s'en faut, n'est pas répertoriée dans un registre, il faut donc procéder à de nombreux recoupements.


Au regard de ces 20 000 femmes tondues, ce sont des centaines de milliers, voire des millions de Français qui en ont été les témoins directs : enfants comme adultes.


Page (1) 2 3 4 »
Format imprimable Envoyer cet article à un(e) ami(e)