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La question du genre : Des femmes tondues à la Libération par Fabrice Virgili
Posté par acatparis5 le 25/5/2009 10:31:59 (4281 lectures)


Qui est responsable ?


On entend souvent dire que ce seraient les résistants de la 25 e heure, voire même des collaborateurs prêts à se racheter une conduite, qui auraient orchestré ces tontes. L'explication est peut-être séduisante mais elle ne correspond pas à la réalité.


Qui est donc le responsable : est-ce que c'est la personne qui tient la tondeuse ?


Bien sûr que non et souvent on fait simplement appel au coiffeur du village.


Mais quand on regarde les images de tontes, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un tête-à-tête entre une femme et un homme. Du point de vue de la méthodologie, il est intéressant de souligner que l'existence de la photographie est irremplaçable car aucun procès-verbal de gendarmerie aussi précis soit-il ne vous montre les gens au moment de cette tonte. Il y a toujours un premier cercle de personnes exclusivement masculin et dont chacun des participants porte un symbole de pouvoir : un brassard, un casque, une arme, un uniforme. C'est toujours ce premier cercle qui tient la femme, la tond, la fait avancer ou reculer, la montre devant l'appareil photographique ce qui fait partie de l'humiliation – on va tenir sa tête- on va lui faire des cornes- au moment de la prise de vue. La photographie n'est pas seulement un témoignage. Elle fait partie de cette violence.


Autour de ce premier cercle, vous remarquerez qu'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas seulement spectateurs mais aussi acteurs : ils vont crier, hurler, insulter, taper, jeter des objets, rire, applaudir, chanter. Ce second groupe participe intégralement à la violence : il ouvre le cortège, il va au pied au domicile pour crier et demander que l'on montre à la fenêtre la femme qui est tondue. Dans ce groupe actif, on retrouve là toutes les catégories de la population : des hommes, des femmes, des enfants, des adultes, des personnes âgées. On le voit également au travers de la manière dont les gens sont vêtus : les différentes catégories sociales sont bien représentées.


Participer à cette violence, c'est une manière de se réapproprier la ville qui a été occupée pendant 2 ou 5 ans selon les régions. C'est une manière également de se réapproprier l'histoire  : on n'a subi la défaite, l'occupation, le couvre-feu. Et tout d'un coup on peut arrêter de subir et devenir acteur : en chantant la Marseillaise devant le monument aux Morts par exemple mais aussi en participant à ces violences.


Enfin, le troisième cercle est composé de spectateurs qui vont rester sur les trottoirs, ils n'accompagnent pas le défilé, ou bien ceux qui sont à leurs fenêtres. Sur certaines images filmées, on voit un certain nombre de personnes faire demi-tour et s'en aller.


Ces trois cercles montrent bien les différents degrés de participation.


Le consensus autour du déroulement de ces violences, pendant quelques brefs jours de 1944, est quasi-total. Les premières voix hostiles à ces violences s'exprimeront dès septembre. Prenons le cas du résistant Rol-Tanguy, chef militaire à Paris : il donne son premier ordre d'interdiction de ces violences le 28 août alors que la Libération a commencé le 19 et que le défilé du Général de Gaulle s'est déroulé le 26 août. Les tontes auront duré toute la semaine. Et ceci d'autant plus que l'ordre d'interdiction ne sera publié que le 4 septembre.


Prenons aussi le cas de Rodez dont la Libération se passe dans des conditions terribles puisque le 19 août 1944 les Allemands évacuent la ville et exécutent les prisonniers politiques avant leur départ. Les résistants prennent possession de la ville et découvrent le charnier contenant le corps des exécutés. L'atmosphère comme dans d'autres villes est à la fois joyeuse et triste – on chante – on danse -on pleure – et les femmes sont tondues. On constate alors aucune réaction hostile à ces tontes. Un mois plus tard, deux femmes sont à nouveau tondues mais cette fois-ci, on assiste à une levée de bouclier : le Comité de Libération, l'organisation des femmes de France, les FTP. Tout le monde proteste contre cette pratique indigne de la Libération. Or ce sont les mêmes personnes qui, un mois auparavant, étaient restées silencieuses devant ces pratiques. Cela démontre la rapidité avec laquelle les mentalités ont changé : il y eut un moment où ces pratiques étaient acceptables et un moment où elles l'étaient plus.


Un dernier exemple pour illustrer qui prend la décision et pour bien montrer qu'il ne s'agit pas des « résistants de septembre » : prenons le cas du Languedoc.


Partout en France, les décisions de procéder aux tontes sont prises localement. Et les femmes qui vont être tondues, pour une grande partie d'entre elles, savent très bien qu'elles vont être tondues et très souvent par qui. Sur les rapports de gendarmerie rédigés à la suite de plaintes déposées par certaines femmes tondues, on apprend qu'il s'agit de gens qui se connaissent entre eux. Il s'agit d'une épuration de proximité : on ne supporte pas ceux qui, au sein de l'univers le plus proche, sont considérés comme des traîtres. Le Languedoc est la seule région où le 28 août 1944 à Montpellier, est organisée une réunion regroupant toutes les autorités de l'époque à savoir le président des comités locaux de Libération de département de l'Hérault et des départements limitrophes, le Commissaire de la République nommé par Alger et qui est l'autorité suprême au sein d'une région-il dispose même du droit de grâce-, tous les groupes politiques et militaires sur place (l'Organisation civile et militaire, l'armée secrète, le parti communiste..), les représentants syndicaux, les représentants de la police et de la gendarmerie.


Rappelons que le gouvernement de la France libre à Alger avait en effet imaginé que le cloisonnement de la France n'allait pas permettre des communications faciles et qu'il fallait au moins à l'échelle d'une région disposer d'une autorité incontestée.


Au cours de cette réunion du 28 août, il est décidé que toutes les femmes ayant collaboré, seraient internées et tondues. Un châtiment administratif est donc décidé à l'échelle d'une région entière.


Ailleurs, les décisions sont prises à l'échelle locale, rarement au niveau d'un département mais à l'échelle des villes.


Pourtant alors, qu'aucun ordre n'a été donné à l'échelon national pour appliquer ce châtiment on constate partout le même type de violence envers les femmes. Les tontes vont de soi et se pratiquent à grande échelle.


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