Menu Principal
Index thématique
Recherche sur le site
Les articles les plus consultés
Page « 1 2 3 (4)
La question du genre : Des femmes tondues à la Libération par Fabrice Virgili
Posté par acatparis5 le 25/5/2009 10:31:59 (4281 lectures)


Pourquoi un tel châtiment ?


Il y a d'abord ce besoin d'agir, et comme l'on est dans un contexte de guerre, cela passe par l'exercice d'une violence, mais une violence intermédiaire, il ne s'agit pas de mettre à mort. Cette violence se situe à mi-chemin entre une violence pratiquée par ceux qui ont une expérience de la mise à mort et de la mise en danger de leur propre vie dans le combat — c'est le cas des maquisards et des résistants — et la grande majorité de la population qui jusqu'à présent n'a pas exercé de violence mais qui, en procédant à des tontes, va tenter de se rapprocher symboliquement du premier groupe. Il y a là un véritable enjeu politique. Dans le cadre de la surveillance de correspondance par Vichy (appelé le contrôle technique), les enquêtes d'opinion pratiquées en juin et juillet 1944 montrent en effet que dès l'été 1941, la grande majorité de l'opinion se détache du gouvernement sans pour autant adhérer à la résistance. La population demeure inquiète car la propagande allemande et collaborationniste ne cesse de répéter que les résistants sont des bandits, des terroristes. C'est donc un enjeu important pour la résistance que de démontrer vis-à-vis de la population qu'elle est légitime. Le fait d'infliger cette violence intermédiaire qui peut être exercée par de « bons pères de famille » — il ne s'agit pas de viols- et se projette dans l'avenir. L'épuration est pensée comme un préalable indispensable à la renaissance du pays.


L'autre explication est d'ordre anthropologique et fait référence au langage du corps.


La chevelure féminine renvoie à la sexualité, et dans certains cas à une sexualité considérée comme déviante, à l'adultère et au châtiment de l'adultère. Ce type de châtiment se retrouve dans de nombreuses sociétés et à des époques extrêmement variées. C'est le cas notamment des sociétés polynésiennes, dans certaines populations amérindiennes comme dans l'occident chrétien. D'où l'association que ces femmes tondues ne peuvent l'être que parce que précisément elles ont eu une relation sexuelle avec l'occupant. Ce langage du corps est parfaitement compris et ce n'est pas un phénomène uniquement français. Cette pratique a lieu dans tous les tous pays européens dans le courant du second quart du XXe siècle.


Le premier cas recensé se situe à la fin de la Première Guerre mondiale, en Belgique.


Au moment du retrait de l'armée française de Rhénanie dans l'entre-deux-guerres dans le courant des années vingt, des femmes allemandes sont tondues pour avoir manifesté des sentiments francophiles. Pendant la guerre d'Espagne, les femmes républicaines sont tondues par les franquistes. Sous le troisième Reich, les nazis, avant la prise du pouvoir par Hitler, tondent les militantes de gauche. Puis, par la suite, seront tondues les femmes accusées de crime contre la race c'est-à-dire celles qui ont des relations sexuelles avec des juifs, des prisonniers de guerre.


Rappelons que le sort réservé aux prisonniers de guerre reconnus coupables de relations avec des femmes « aryennes » variait selon la nationalité : pour un polonais ou un russe c'était la peine de mort. Pour un Français ou un Belge par exemple, la condamnation était de 2 ou 3 ans de pénitencier.


Au moment de la Libération, la tonte des femmes est pratiquée dans toute l'Europe : en Italie, en Tchécoslovaquie, au Danemark, en Norvège, en Yougoslavie, en Pologne, dans les îles anglo-normandes. Enfin, à la fin de guerre civile grecque, des femmes réputées « rouges » sont tondues par les forces nationalistes.


Pourquoi une même forme de violence, uniquement dirigée à l'encontre des femmes, se répand de façon aussi extensive et ceci pendant une période assez courte du XXe siècle.


Cette forme de violence doit être interprétée comme un moment de « réajustement » des modifications des relations intervenues entre hommes et femmes au cours du XXe siècle.


Dans ces pays-là, c'est le moment où les femmes acquièrent le droit de vote : en 1917 pour la Russie, 1918 pour l'Allemagne, 1944-1946 pour l'Italie et la France. Au cours de cette période, les femmes acquièrent non seulement un accès aux droits politiques mais aussi au travail salarié. Face à cette modification des rapports homme-femme, la tonte peut être interprétée comme une réaction violente de la part des hommes inquiets d'une remise en cause de leur domination. Ce phénomène étant accentué en France par l'humiliation de la défaite éclair de 1940 qui est aussi une défaite des hommes français. Ces Français, mâles, dont il est dit depuis la Révolution française que c'est au prix du sang qu'ils sont des citoyens. Leur devoir d'homme français c'est d'éviter qu' Ils viennent jusque dans vos bras, Égorger vos fils, vos compagnes ! .


Il appartient donc aux hommes de défendre les femmes, les enfants et le sol du pays contre l'ennemi. Et précisément en 1940, la défaite n'est pas seulement militaire. C'est un gigantesque traumatisme : ce pays qui se pense la plus grande puissance au monde se fait balayer en 1 mois. Sur tous les murs des villes en 1939, on peut apercevoir une affiche qui proclame Nous vaincrons car nous sommes les plus forts . Imaginez un peuple qui se croit le plus fort et dont l'armée est laminée en quelques semaines, avec 8 millions de personnes sur les routes. La défaite c'est aussi une défaite du masculin alors la Libération est perçue comme un moyen de reconstruire une fierté masculine autour du personnage du maquisard qui incarne le nouveau vainqueur national et non pas autour du prisonnier de guerre qui est le représentant d'une armée vaincue.


Cette violence faite aux femmes est, pour les hommes, une manière de leur dire : certes vous avez désormais des droits politiques mais votre corps reste notre propriété. La question du corps de la femme ne sera abordé que dans les années soixante avec les débats autour du divorce, de l'avortement et de la contraception.


Indication bibliographique :



  • La France "virile" : Des femmes tondues à la Libération , Paris, Éditions Payot et Rivages, 2000, 392 p.

  • Naître ennemi. Les enfants nés de couples franco-allemands pendant la Seconde Guerre mondiale , Paris, Payot, 2009.

  • avec François Rouquet et Danièle Voldman (dir.), Amours, guerres et sexualité 1914-1945 , Paris, Gallimard, 2007.


Liens :


http://irice.cnrs.fr/spip.php?article21


Adresse :


Fabrice VIRGILI


chargé de recherche au CNRS


UMR 8138 IRICE


Université de Paris 1 Panthéon -Sorbonne


1, rue Victor Cousin


75231 Paris Cedex 05




Page « 1 2 3 (4)
Format imprimable Envoyer cet article à un(e) ami(e)