Il proposait donc de recourir au pardon qui avait une force certaine en Afrique du Sud, de recourir à cette jurisprudence africaine et de recourir aussi à un contexte politique ne permettant pas le recours systématique à la justice pénale. On le retrouve évoqué par Desmond Tutu, on le retrouve aujourd’hui très étroitement associé à ces commissions vérité et réconciliation or le terme lui-même n’a pas été inventé dans cet univers.
Il a été inventé dans cet univers de mobilisation pour la réforme de la justice pénale et plus largement de la justice sous la forme d’un principe voulant précisément substituer ce rapport entre le délinquant et le juge qui est caractéristique de l’exercice de la justice dans la plupart des pays du Nord, substituer à ce rapport un face à face entre délinquants et victimes, le cas échéant en présence de membres de la communauté.
C’est ce modèle-là directement appliqué notamment à la délinquance juvénile sous la forme par exemple de résolutions du Conseil de l’Europe et des Nations unies quelque chose qui s’appliquerait très directement en matière de justice pénale qui est supposé avoir un équivalent exact en matière de sortie de conflit politique violent avec toujours la même intention c’est à dire une justice moins étatisée, une justice moins formelle, une justice plus délibérative, une justice qui accorderait une place plus grande à la victime.


C’est sur ce point que je voudrai conclure non pas parce que je m’y refuse en essayant de dire ça marche ou pas les commissions de vérité mais justement en essayant de revenir sur deux caractéristiques communes qui sont aussi deux limites communes à la justice restauratrice appliquée à la justice pénale c’est à dire dans les pays du Nord et à la justice transitionnelle appliquée dans les pays du Sud sortant d’un conflit politique violent.
L’idée générale donc est, selon moi, d’essayer réinventer une autre façon de rendre la justice qui prenne davantage en compte la victime et qui soit moins rendue par l’Etat que par cette délibération entre les deux parties.
Ca c’est le principe avec néanmoins cet effet paradoxal que ces deux formes de justice restauratrice qui devaient permettre d’en finir je reprends l’une des expressions utilisées par un bon connaisseur de la justice pénale dans les pays du Nord qui parle de « vol » par les professionnels, l’idée d’un accaparement du litige par les professionnels du droit, ce que l’on constate de part et d’autre c’est que ce modèle même qui doit « déprofessionnaliser » la justice invente d’autres formes de professions, d’autres formes de professionnalisation et c’est ce que j’ai essayé de montrer en évoquant la constitution d’une profession de promoteurs de la justice transitionnelle.
Et d’autre part où en est-on de la consécration des victimes ?
J’ai mentionné tout à l’heure qu’elle se payait souvent du prix d’une version de l’histoire très particulière, d’une dépolitisation assez poussée avec – les associations de victimes le soulignaient elles-mêmes – une disparition paradoxale de la victime dans ce type d’expérience puisque la victime qui est prise en compte, c’est la victime qui certes peut parler, peut prendre la parole pour autant qu’elle accepte de le faire dans les cadres qui lui sont fournis et avec le langage qui lui est fourni, c’est à dire en tenant un langage de la souffrance, un langage moral davantage qu’en tenant un langage de la revendication, de la demande de justice et un langage politique.

Merci pour votre attention.

pour en savoir plus :

Politiques Du Pardon
Lefranc, Sandrine (Auteur)
Editeur : Puf
Collection : Fondements De La Politique ( + de détails )
Date de parution : 2002
EAN13 : 9782130524014
Genre : Violence politique / Amnistie / Commissions vérité et réconciliation
Pages : 368