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Forces de police : Arrêt Selmouni : "Droits de l'homme : examen a repasser"
Posté par Peyron le 16/9/2005 18:11:22 (1538 lectures)

le 30 juillet 1999
par Catherine Malécot - ACAT
publié dans le Courrier de l'ACAT n° 198 Sep-Oct 1999

A l'unanimité des juges, la Cour européenne des droits de l'homme a donc dit le 28 juillet dernier que la France s'était rendue coupable de "torture" lors de la garde à vue d'Ahmed Selmouni, présumé trafiquant de drogue, en novembre 1991 . La Cour a également condamné la durée excessive de la procédure judiciaire - encore en cours - à l'encontre des policiers responsables de ces faits.


Ce que nous enseigne cette affaire, y compris ses développements devant la justice européenne, se résume en quelques mots : aucun des "garde-fous" censés protéger toute personne placée en garde à vue d'éventuels dérapages n'a fonctionné, malgré l'extrême gravité des violences attestée par divers certificats médicaux et expertises.

La France n'aurait sans doute pas subi l'infamie d'être le deuxième pays européen condamné pour "torture", après la Turquie, si les plaintes déposées par Monsieur Selmouni devant la justice française avaient été traitées avec la diligence requise, si l'administration et la hiérarchie policière avaient adoptées les mesures conservatoires adéquates à l'égard de cinq fonctionnaires sur lesquels pesaient de graves soupçons, si finalement le ministère de l'Intérieur n'avait pas semblé couvrir par des propos minimisateurs ces fonctionnaires.

Le tribunal correctionnel de Versailles, qui a condamné en mars 1999 les policiers à des peines allant jusqu'à quatre ans d'emprisonnement, a su désigner les violences des policiers et leurs malversations administratives (falsification de procès-verbaux d'interrogatoires, ...) et en tirer les conséquences judiciaires , confirmées par la cour d'appel en juillet.

Nous reviendrons sans doute à l'avenir sur cet arrêt condamnant les violences policières et l'inertie administrative et judiciaire qui s'en suit bien souvent en France, et qui annonce une évolution de la jurisprudence de la Cour européenne sur le sujet .

Nous avons assisté, dès la publication de l'arrêt, à un ensemble de réactions, consternantes dans la "patrie des droits de l'homme", et bien proches de celles que l'on entend couramment en Turquie, en Amérique latine, en Chine, ...

Lorsque Monsieur Chevénement, ministre de l'Intérieur, indique que "les jugements de la Cour européenne des droits de l'homme ne s'imposent pas au juge français qui reste maître de ses décisions", non seulement il traite par le mépris un arrêt qui s'impose bel et bien à la France dans ses conséquences financières (indemnisation de la victime) et aura une incidence certaine sur les affaires en cours, mais de plus il met en cause les efforts internationaux de défense des droits de l'homme, et l'action y compris de la France en faveur de ces efforts.

Lorsque Madame Guigou, ministre de la Justice, dit "qu'elle ne connaît pas le dossier", qui veut-elle convaincre de son ignorance ?

Lorsque Monsieur Arajol, responsable du Syndicat général de la police, se demande "si les policiers agissent au nom du peuple et du droit français ou bien doivent-ils désormais exercer leur mission dans le cadre du droit européen", ignore-t-il réellement, et avec lui ses adhérents, que la France est membre depuis de nombreuses années du Conseil de l'Europe, s'est engagée à respecter toutes les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950, et que depuis lors le droit français intègre le droit européen, ainsi que le droit international qui proscrit en toutes circonstances le recours à la torture et aux traitements inhumains et dégradants ?

Lorsque Monsieur Sarre, responsable du Mouvement des citoyens, parti gouvernemental, affirme que l'arrêt constitue "une nouvelle restriction de la souveraineté nationale au nom d'un ordre juridique international débarrassé de tout contrôle", veut-il dire par là que la souveraineté nationale s'exprime dans les traitements subis par Ahmed Selmouni et les lenteurs de la justice française ? Au demeurant, il n'hésite pas à scier la branche républicaine sur laquelle il est assis : la république française n'a-t-elle pas fait beaucoup, dès la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pour la propagation dans le monde entier des idéaux universels des droits de l'homme ? Que sont des idéaux sans un ordre juridique pour les faire respecter ?

Décidément, les droits de l'homme constituent une matière bien difficile pour nos gouvernants, dès lors qu'il s'agit de dépasser les proclamations de principe et les trémolos dans la voix? Examen à repasser !

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