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Peine de mort - Etats-Unis : témoignage de Juan Melendez, condamné à mort en Floride qui a été innocenté
Posté par Peyron le 16/2/2006 12:34:50 (1596 lectures)

« Aujourd’hui, je suis toujours un rêveur. Je rêve et je prie que de mon vivant je puisse voir la peine de mort abolie. » Juan Melendez

Transcription de la conférence de Juan Melendez du 12 février 2006 organisée par l’ACAT Ile de France et l’ACAT Paris V à la Maison Fraternelle à Paris.



Je suis né à Brooklyn, New York, en 1951 (mille neuf cent cinquante et un) mais quand j’avais huit ans nous sommes retournés à l’île Porto Rico. Ce dont je me rappelle le mieux au sujet de ma jeunesse à Porto Rico, c’est que j’allais à l’école pieds nus. Il y avait beaucoup de maladies sur l’île et quand on marchait pieds nus, on attrapait des maladies. Beaucoup de mes copains sont morts. Moi, j’ai survécu. Je dois être prédestiné à survivre. J’ai commencé à couper la canne à sucre quand j’avais à peine 14 ans.
En 1970 (mille neuf cent soixante-dix), quand j’avais environ 18 ans, j’ai décidé de quitter l’île pour avoir une vie meilleure. Je suis devenu travailleur itinérant, je faisais la cueillette des fruits.
J’ai ensuite travaillé dans le Delaware, dans une petite ville qui s’appelle ………. . Ensuite, j’ai travaillé en Floride. J’ai suivi dans ma vie des chemins tortueux, mais jamais je n’ai imaginé qu’un jour je serais condamné à mort pour un crime que je n’avais pas commis.

En 1984 (mille neuf cent quatre-vingt quatre), j’ai dû quitter la Floride plus tôt que d’habitude, car la récolte avait été rapide à cause du gel. Les pamplemousses et les oranges tombaient des arbres tout seuls et nous n’avions plus qu’à les ramasser.
Nous avions fini en un rien de temps. Je n’avais plus de travail, j’ai alors décidé de partir vers le nord, en Pennsylvanie, où je connaissais un agriculteur qui me donnerait du travail : tailler les pommiers et les pêchers.
Le 15 mai 1984, nous étions sous un pêcher en train de déjeuner et voilà un paquet d’agents du FBI qui s’approchent. Ils ont sorti leurs armes et nous avons pris peur. Ils nous ont dit de nous jeter au sol. Ils ont alors appelé mon nom et j’avais peur de me relever, à cause des armes pointées sur moi. Alors j’ai levé un bras. Ils m’ont dit alors de me lever et de venir vers eux. Je l’ai fait. Ils m’ont dit ensuite de relever la manche gauche de ma chemise jusqu’à l’épaule. Ils voulaient voir un tatouage. Je le leur ai montré. Ils m’ont dit d’ouvrir la bouche. Je l’ai fait. Ils voulaient voir s’il me manquait une dent. C’était le cas. C’est toujours le cas. A ce moment-là ils m’ont dit que j’étais bien l’homme qu’ils recherchaient. Ils ont dit que j’étais recherché pour délit de fuite en vue d’éviter d’être jugé. Ils avaient un mandat d’arrestation de l’État de Floride pour homicide volontaire et vol à main armée. Ils m’ont conduit à une prison fédérale. Le jour suivant, ils m’ont emmené devant un magistrat, un juge fédéral. Celui-ci me parlait d’extradition et je ne savais pas ce que c’était. Je ne connaissais pas bien la langue, je ne connaissais rien au système judiciaire. Ils ont donc amené un interprète pour m’expliquer ce que signifie l’extradition. L’interprète m’a dit en espagnol : « soit vous acceptez l’extradition, soit vous la refusez, mais ils vous renverront là-bas de toute façon ».
Voilà quelles idées tournaient dans ma tête : Je n’ai pas commis ce crime, je ne suis pas un meurtrier, ma mère n’élevait pas de meurtriers. J’ai dit alors : je ne vais pas la refuser. Dès qu’ils auront vu ma vilaine tête en Floride, ils me laisseront partir. Comme j’avais tort ! J’ai donc été extradé de Pennsylvanie jusqu’en Floride. 2 semaines plus tard, je suis arrivé en Floride et j’ai été amené devant un juge. Il m’a lu les charges qui pesaient contre moi. Il a dit : « Vous êtes arrêté et mis en examen pour homicide volontaire et vol à main armée. Et l’État de Floride demande la peine de mort.

Je ne suis pas O. J. Simpson, je n’ai pas d’argent pour employer un avocat

Deux semaines après ça, le tribunal m’a assigné un avocat. Un avocat de la défense public. Je ne suis pas O. J. Simpson, je n’ai pas d’argent pour employer un avocat, donc le tribunal m’a assigné cet avocat d’office. Il est venu et m’a parlé. Je ne comprenais pas ce qu’il disait parce que je ne connais pas le système, je ne connais pas la langue. Mais il me donnait des tapes dans le dos tout le temps, à chaque fois qu’il me voyait. Ne t’inquiète pas, il me disait. Il me dit aussi que je vais rentrer chez moi. Je comprends ça, le truc de rentrer chez moi. Je n’ai pas commis ce crime. Je devrais rentrer chez moi.
Ensuite, nous allons au procès. Le procès : Le lundi nous commençons à choisir le jury. Le mardi, nous en sommes toujours au choix du jury. Mardi soir, après avoir choisi onze blancs et un noir américain… on lit aux jurés les instructions concernant leur façon de se comporter dans un cas d’homicide volontaire avec application éventuelle de la peine de mort.
Pas d’hispanique dans le jury, et je suis hispanique. C’est le mercredi de la même semaine, que viennent les preuves.
Voilà ce qu’ils avaient contre moi : ils avaient un informateur de la police, ce qu’on appelle dans la rue un mouchard. Il affirme que je lui ai avoué le crime. Il met aussi en cause un autre homme dans le crime, un noir américain, John Berrien, un noir que je connais. Celui-ci est arrêté. Il est interrogé. On le menace de la chaise électrique. Il dit qu’il est impliqué dans le crime, cet homicide volontaire, ce vol à main armée. Il est temps de conclure un pacte. Les procureurs adorent les pactes. Donc il s’engage vis-à-vis de l’État à témoigner contre moi.
L’accusation d’homicide volontaire et de vol à main armée contre lui se transforme en simple complicité après les faits. Il écope d’un sursis avec mise à l’épreuve de 2 ans. Pas un jour de prison supplémentaire.
J’ai été inculpé sur la parole de David Luna Falcon, un ex-condamné qui avait une histoire criminelle très longue et a touché 5000 dollars contre son témoignage. À l’époque où il a témoigné contre moi, il était impliqué d’être entré illégalement dans une maison en Floride et d’avoir menacé les occupants. Les charges contre lui ont été abandonnées par la suite. Je ne connaissais pas David Falcon mais lui avait entendu parler de moi parce que je connaissais son père et son frère.
Deux témoins peu crédibles. Pas de preuves physiques contre moi, seulement deux témoins peu crédibles, avec un dossier criminel qui va d’un bout du pays à l’autre. Deux témoins peu crédibles, qui pactisent avec l’État pour obtenir l’effacement de leurs propres crimes. Et voilà ce que j’avais en ma faveur du côté de la défense : j’avais un témoin de mon alibi, j’avais quatre témoins qui corroboraient l’alibi.
(J’avais) d’autres témoins qui disaient que l’informateur de la police, le mouchard, avait un compte à régler avec moi. Mais j’avais un problème. Chacun de mes témoins était une personne noire américaine. Et quand un homme noir ou une femme noire témoigne au nom de l’État, soudain ils ont une bonne crédibilité, on les habille même élégamment, j’ai vu cela de mes deux yeux.
Mais quand un homme noir ou une femme noire témoigne en faveur de la défense, ils n’ont plus aucune crédibilité. Le jeudi de la même semaine, ils m’ont trouvé coupable. Le vendredi de la même semaine, ils m’ont condamné à mort. Et le juge se plaignait que ça durait trop longtemps. Il y a deux phases dans un cas de condamnation à la peine de mort.
La première phase est verdict, où l’on établit l’innocence ou la culpabilité de l’accusé. En cas de culpabilité, vient une deuxième phase, la sentence, pour décider si un homme mérite la peine de mort ou mérite de vivre en prison. ça s’est passé le vendredi, vers dix heures. Le vote était de neuf contre trois, neuf pour la mort et trois pour la vie. La vérité, c’est que dans une salle d’audience personne ne comprend l’anglais, seulement les avocats et les juges et le procureur, parce qu’ils parlent une autre langue. J’étais vraiment naïf, je ne savais pas lire, je ne savais pas écrire, je ne savais pas bien parler anglais. Je ne comprenais pas les termes juridiques, je ne comprenais rien de tout ça.
Tout ce qu’on a montré pendant le procès indiquait que je n’avais pas commis le crime. Mais on ne m’a pas cru parce que tous les témoins en ma faveur étaient des gens noirs américains. Je leur ai dit : « Je reviendrai parce que je suis un homme innocent. Au nom de Jésus, je reviendrai. »
Quand ils m’ont condamné à mort, je suis devenu un homme en colère. J’ai détesté le procureur, j’ai détesté les jurés, j’ai détesté le juge. Et j’ai détesté celui qui me donnait des tapes dans le dos, l’avocat qui me défendait, parce que j’ai eu le sentiment qu’il m’avait trahi. J’aurais préféré être parmi les autres prisonniers plutôt que dans le couloir de la mort. Là, vous êtes vraiment tout seul.

Nous nous battrons jusqu’à la fin.

Quand j’ai été extradé vers la Floride après mon arrestation, je suis allé dans la prison du comté de Polk County en Floride. On dit que c’est la pire des prisons de comté de l’État, parce qu’on ne peut pas téléphoner, il n’y a pas d’air, la ventilation est mauvaise, la nourriture est mauvaise. Quand ils vous mettent en prison, ils vous mettent en cellule ????. Dans la cellule vous jouez aux cartes, vous voyez beaucoup de bagarres, vous voyez des blessés, des viols, tout ça. Les gens qui ont des problèmes dans la cellule,
c’est parce qu’ils ont peur quand ils arrivent et qu’ils commettent des erreurs, empruntent de l’argent. J’avais l’habitude de me battre, j’avais l’habitude de boxer, je me suis toujours bagarré. Je ne cherchais pas les problèmes mais je savais me défendre.
J’avais peur. J’avais vraiment peur de mourir pour un crime que je n’avais pas commis. Ils m’ont emmené dans le couloir de la mort le deux novembre. Je n’oublierai jamais ce jour. L’endroit était effrayant, horrible. Il faisait sombre, il faisait froid. On me mettait toujours les fers, les menottes, les chaînes, à chaque fois qu’on m’emmenait. Je pensais que nous les Porto Ricains nous étions vraiment des hommes durs mais ce n’est pas ce que j’ai ressenti. J’avais peur, vraiment très peur de mourir pour un crime que je n’avais pas commis. Quand je suis entré là-bas, ça a fait 230 condamnés à mort. Aujourd’hui, c’est 360. Chacun d’entre eux avait sa propre cellule. C’est ce qu’on appelle une sécurité maximale, hyper maximale. Vous devez être tout seul. Voilà les pensées qui tournent dans ma tête quand j’arrive : je sais boxer et je connais tous les exercices pour conserver sa souplesse musculaire (you can swing your hands si on est prêt à se battre). Je pense que s’ils viennent jusqu’ici, je vais simplement me battre jusqu’à la fin. Je ne marcherai pas jusqu’à cette chaise. J’ai décidé de prendre les draps sur ma couchette, de les couper en morceaux. Ensuite je prends les morceaux et j’attache les barreaux de la porte. Quand ils appuieront sur le bouton dans la salle de contrôle, la porte ne pourra pas s’ouvrir. Je pense alors qu’avant qu’ils ne coupent ces bouts de tissu pour pouvoir entrer et m’emmener, j’aurai fait un bon échauffement et que je pourrai lutter contre eux jusqu’à la fin. Je ne vais pas à cette chaise, je n’y vais pas en marchant.
Là, je fais des pompes, à l’heure où les gardiens font le comptage des prisonniers, avec les portes déjà coincées. Je transpire beaucoup. Les muscles ressortent même
au-dessus de mes sourcils. Parce que j’essaie d’intimider ces gens, que j’essaie de les effrayer. Mais tout le temps, c’est moi qui suis intimidé, c’est moi qui suis effrayé.
Donc, voilà le gardien. Et il voit la porte attachée. Il se fâche contre moi. Et il commence à m’insulter. « Pourquoi as-tu attaché cette fichue porte ?» et je ne sais pas beaucoup d’anglais mais je connais des insultes. Je lui rappelle donc sa mère, son père et tout le reste.
Les autres condamnés interviennent dans la dispute et à ma grande surprise ils étaient contre moi ! Ils me disent que j’ai tort. Donc me voilà en colère contre eux maintenant.
Je dis : « Vous voulez me dire qu’ici ils tuent des gens toutes les semaines et que nous n’allons rien faire contre ça ? Nous devrions prendre cet endroit et y mettre le feu. Nous devrions nous battre contre ces gens. Nous Porto Ricains, nous ne nous laissons pas faire comme ça, nous nous battons jusqu’à la fin !

Pourquoi vous donneraient-ils une éducation alors qu’ils vont vous tuer

Ils ont continué à me dire que j’étais fou. Ils m’ont dit que tout ce que je faisais, à partir du moment où je me levais le matin, c’était d’insulter et de pleurer et de clamer mon innocence. Ils m’ont dit que je ne savais pas lire, que je ne savais pas écrire, que je ne savais pas parler anglais. Et tous les prisonniers m’ont dit les choses les plus belles que j’aie entendues à l’époque. Ils m’ont dit qu’ils allaient m’apprendre à lire, à écrire, à parler anglais.
Quand j’ai eu appris à lire, à écrire, à parler anglais, j’ai pu mieux communiquer avec mes avocats. J’ai pu mieux communiquer avec les amis qui m’écrivaient, qui me montraient de la gentillesse et de l’affection.
Il y a là-dedans un groupe qui apprend, mais nous apprenons les uns auprès des autres.
Personne n’est ici pour nous enseigner quoi que ce soit. Il n’y a pas de programme de formation. Pourquoi devraient-ils vous donner une formation alors qu’ils vont vous tuer ?
J’étais là-dedans avec des gens qui avaient supprimé (mangé ??? détestaient ????) des gens. J’étais là –dedans avec les pires parmi les pires. Ceux que les États-Unis veulent voir morts. Ceux que les procureurs appellent des monstres.- Ils m’ont appris à lire, à écrire, à parler anglais. S’ils ne m’avaient pas appris à lire, à écrire et à parler anglais, je n’aurais jamais survécu à cet endroit.
Dans le couloir de la mort, on est plus en sécurité, parce que vous êtes plus séparé, vous êtes plus solitaire. Mais au fond, c’est plus de souffrances parce que vous êtes seul, vous êtes complètement seul, c’est l’enfer. Vous avez plus affaire avec la solitude que si vous étiez au milieu des autres prisonniers.
Et aussi, les gens dans le couloir de la mort changent certainement plus que les gens en prison parmi les autres. Parce que les gens dans le couloir de la mort, quand ils changent, ils changent pour quelque chose de divin, ils savent qu’ils ne vont aller nulle part. Ils savent qu’on va les tuer. Alors ils veulent se rapprocher de Dieu. Pour vous rapprocher de Dieu, vous devez beaucoup changer votre cœur. Alors beaucoup deviennent des gens très croyants, des gens vraiment bons, des gens qui apprennent aux autres à lire et à écrire, à respecter, des choses de ce genre. Quand on les exécute, ils ne sont plus la personne qui a commis le crime, ils ont commis le crime.
Vous avez du temps pour penser. Vous êtes tout seul là-dedans. Vous avez du temps pour penser, et penser positivement. Ne pensez pas négativement. Vous êtes dans une situation négative et vous essayez de la transformer en situation positive. Et c’est tout ce que j’ai fait. J’ai ressenti un changement. J’ai appris à pardonner, à avoir de la compassion. J’ai appris à aimer les gens, à apprécier toutes les créations de Dieu.
Trois choses que vous avez dans le couloir de la mort : vous avez le futur, qui est la mort. Vous avez le présent, qui est l’enfer. Et vous avez
le passé, qui est la seule chose à laquelle vous pouvez vous raccrocher pour avoir un peu de réconfort. Vous devez vous rappeler le bon vieux temps ???, les bons moments que vous avez eus. Vous racontez les bons moments que vous avez eus au type d’à côté. Et il vous raconte ses bons moments à lui. Vous tuez le temps de cette façon. Les conditions de vie dans la prison d’État de Floride sont terribles. L’endroit est infesté de rats et de cafards. Le pire moment c’était quand ils apportaient les repas. Le pire c’est le petit-déjeuner. Ils mettent la nourriture sur un chariot, sur un plateau, et ils envoient le plateau par une trappe ménagée dans la porte de la cellule. À l’heure du petit-déjeuner, ils passent le plateau à l’intérieur par cette trappe. Ils ne vous réveillent pas. Si vous restez 5 secondes dans ce lit, vous avez perdu. Les cafards vous ont battu ; eux aussi attendent le petit-déjeuner.
Et il fait froid dans le nord de la Floride. On vous fournit une fine couverture. Je me couvre complètement des pieds à la tête, parce que je ne veux rien voir. Mais les rats, ils ont froid aussi, et ils veulent se réchauffer, donc ils se glissent dans cette couverture. On peut sentir ce rat, il monte depuis mes pieds jusqu’à poitrine. J’attendais qu’il arrive à mon visage. Je ne voulais pas le voir. Si je le vois alors je ne vais plus pouvoir dormir. Donc j’attends. Et quand je sens ce rat sur ma figure, j’attrape la couverture avec mes poignets très serrés et je secoue cette couverture aussi fort que je peux. Boum ! Je peux entendre le rat tomber sur le sol. C’est un gros.
Un de mes amis, Frank Smith, il était condamné à tort pour le meurtre d’une petite fille noire de huit ans. Il est noir lui aussi. Il avait un cancer, et donc lorsque la preuve par l’ADN a fait son apparition, il a supplié qu’on vérifie l’ADN dans son affaire. Et puis il est mort. Il est mort d’une mort horrible. Et vous savez, le cancer, vous perdez vos boyaux ???, vous vous déféquez dessus, vous vous urinez dessus, tout ça. Et
après qu’il est mort, ses avocats ont fait tester l’ADN. Après sa mort on a découvert qu’il n’était pas l’homme qui avait commis le crime.
Le problème avec les conditions médicales dans le couloir de la mort est le suivant : la Sécurité passe avant la vie. Si un condamné a une crise cardiaque dans sa cellule, on ne va pas se précipiter pour sortir cet homme de là et le conduire à la clinique pour le secourir. On va lui passer les menottes. On va lui passer les fers. On va lui mettre les chaînes. Et tout ça prend du temps. Ensuite ils doivent s’assurer que c’est un cas d’urgence. ça prend environ 45 minutes à une heure avant qu’ils sortent cet homme de cette maudite cellule. Entre temps , il est mort.
Un jour, nous sommes tous allés dans la cour. Tous ceux qui m’avaient appris à lire et à écrire et à parler anglais, nous sommes tous allés dans la cour. Mais celui-ci en particulier, cet homme noir américain, ce frère, c’est comme ça que je l’appelle, il était là aussi. Ils m’ont tous aidé à apprendre, mais celui-ci, il me poussait vraiment. Il essayait toujours de tirer le meilleur de moi, comme, «Tu as besoin d’apprendre ceci, tu as besoin d’apprendre cela » et je l’aimais beaucoup à cause de ça.
Les potes, les noirs américains, ils aimaient jouer au basket-ball. Alors ils sont sortis jouer au basket-ball. Certains jouaient au basket-ball, certains jouaient au volley-ball, certains soulevaient des haltères. Je levais des haltères. Je peux éliminer la pression, retourner à ma cellule et dormir un peu mieux.
Cet ami précis, il joue au basket-ball. Et soudain il tombe par terre, sur le béton. -Parce que c’est tout ce qu’ils avaient là-dedans, de l’acier et du béton.- J’arrête de soulever des poids et je vais secouer mon ami pour voir ce qui ne va pas. Je remarque qu’une mousse blanche lui sort du nez et de la bouche, je présume immédiatement que ça devait être une attaque, une crise cardiaque.

Je dis au gardien au portail, « Il y a un homme en bas qui a besoin d’assistance médicale.

Ils prennent leur temps avec le talkie-walkie, ils appellent la clinique. Voilà le prétendu infirmier, cet homme blanc, grand et vieux avec un gros ventre. Ils lui laissent passer le portail et ils nous disent de nous mettre dos à la clôture. Ils apportent leurs armes à l’extérieur et les pointent sur nous, parce qu’ils pensent que dès qu’ils auront laissé ce prétendu infirmier dans la cour l’un de nous va lui sauter dessus.
Donc nous nous mettons dos à la clôture avec les armes pointées sur nous. Maintenant ils vont laisser le prétendu infirmier aller dans la cour. Et le voilà qui arrive, mais il n’a pas de sac de secours avec lui. Il avait quelque chose, cependant. Il avait une demi-livre de tabac à mâcher dans la bouche. Vous pouvez voir ce truc noir qui coule sur le côté. À tout moment il crache.
Il regarde mon ami par terre.
Nous lui disons de loin « Il ne respire pas ! »
Et il crache. Et il dit « Il faut que je retourne à la clinique et que je rapporte une bouteille d’oxygène ».
Il prend son temps et marche vraiment lentement vers la clinique pour récupérer sa bouteille d’oxygène. Ensuite il revient, en marchant tout doucement, et revient dans la cour. Il se penche et met le tuyau d’oxygène dans la bouche de mon ami puis se relève.
Nous lui disons de loin « Eh M’sieur, il ne respire toujours pas, il a besoin d’air ».
Alors il crache. Et il dit, « Je dois retourner à la clinique pour prendre une autre bouteille d’oxygène, celle-ci est cassée. »
Et je dis « Vous n’avez pas besoin de faire ça, vous pouvez faire de la respiration artificielle, du bouche-à-bouche ».
En disant à l’un d’entre eux de faire du bouche-à-bouche à un pote au sol, vous perdez votre temps. Ce grand vieil infirmier, il regarde en haut, il regarde en bas, ensuite il crache. Et ensuite affirme quelque chose en utilisant les gros mots équivalents à « Sale nègre, enc… de sa mère », je ne vais pas y mettre ma bouche.
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Je lui dis « Vous n’avez pas besoin de le faire, je vais le faire. Vous compterez seulement. » Et il a accepté. Je suis tellement content qu’il accepte, parce que je veux sauver la vie de mon ami, je veux qu’il vive. Alors je me précipite au sol, j’enlève mon tee-shirt, essuie cette mousse blanche que mon ami avait sur la bouche et le nez et le prétendu infirmier commence à compter.
Un Deux Trois et je souffle de l’air
Un Deux Trois et je souffle de l’air encore
Un Deux Trois et je souffle de l’air et mon ami ouvre les yeux. Quand mon ami ouvre les yeux, j’y vois un signe d’espoir, il va vivre. Mais tout d’un coup les yeux de mon ami se révulsent et il crispe son visage et sa bouche d’une façon que je vois encore maintenant, parce que ça ne m’a jamais quitté. Ensuite il a respiré vraiment difficilement et de l’air est sorti. Je crois que c’était son âme qui le quittait parce qu’il est mort juste là dans mes bras.
Alors je me mets en colère. Et je veux faire quelque chose à ce prétendu infirmier qui a laissé mourir mon ami dans la cour comme un chien. Et quand je me jette sur lui ??? les autres condamnés viennent et m’attrapent et me mettent dans un coin et ils me disent « Johnny le Porto Ricain, ne t’attire pas plus d’ennuis que tu n’en as déjà. Tu as d’autres moyens de régler ça. »
Je vais quand même en cellule de confinement pendant quatre-vingt dix jours pour avoir manqué de respect à un membre du personnel. Mais j’apprends une leçon. J’apprends que je dois faire confiance à quelque chose de plus puissant que le système.
Je ne pouvais pas combattre le système tout seul.
La vérité, c’est que les condamnés qui ne se tournent pas vers quelque chose de spirituel, soit deviennent fous, soit se suicident. Certains d’entre eux deviennent Musulmans, et ils prient Allah, et ils apprennent à lire, à écrire et à parler anglais aux autres. Certains d’entre eux deviennent Bouddhistes. Je ne sais pas quelles sont leurs prières, mais ils
enseignent aux autres comment aimer, comment avoir de la compassion, comment pardonner. Certains d’entre eux se tournent vers le Christianisme. C’est ce que j’ai fait. Il fallait que je revienne à mes racines.
Je ne pouvais pas combattre le système tout seul. Il fallait que je me repose sur quelque chose de spirituel.
Je me rappelle que nous avions un chapelain qui ne venait jamais dans le bâtiment du couloir de la mort. Et nous lui demandons pourquoi il ne vient jamais dans le bâtiment du couloir de la mort à la prison d’État de Floride. Il a envoyé un message, que nous allions déjà en enfer, qu’il n’avait pas besoin de venir par là.
Je ne choisis pas ce qui m’arrange/ Je ne prends pas parti. Ma foi est la suivante : vous faites de bonnes actions, vous faites de bons choix, vous faites preuve de respect. Vous aimez. Vous faites preuve de compassion. Vous pardonnez. Vous croyez en Dieu, dans quelque chose qui vous dépasse.

Vous savez exactement à quel moment on est en train de le tuer, parce que les lumières s’éteignent et s’allument

La chose la plus difficile pour moi, c’était quand ils tuaient quelqu’un. Ce gars, il est à côté de vous, vous partagez vos pensées les plus profondes avec lui, et alors ils se saisissent de lui (et l’emmènent) hors de là, et ça prend environ trente à soixante jours avant qu’ils l’exécutent.Vous priez tout le temps pour qu’ils lui donnent un sursis avant l'exécution, ou que quelque chose de bien arrive ????
Vous savez exactement à quel moment on est en train de le tuer, parce que les lumières s’éteignent et s’allument, parce qu’il faut générer de l’électricité pour la faire circuler dans la chaise.
Vous pouvez entendre le son rrrrrrrrrr, rrrrrrrrrrr comme l’électricité passe dans la chaise et tue votre ami. Ensuite la lumière s’éteint et vous savez exactement à quel moment ils ont pris sa vie. Et vous n’y pouvez rien. Quand je m’arrête pour y songer, la vérité c’est que j’ai peur de l’électricité de toute façon.
Quand ça arrive, personne ne parle. Tout le monde est silencieux. Et les nouveaux venus, qui ne savent pas ce qui se passe, quand ils commencent à parler, personne ne fait attention à eux. Personne ne veut parler de ça. Ne peut l’arrêter. C’est parti, c’est parti. Ce n’est pas quelque chose dont les gens veulent parler.

Ils vont vous tuer de toute façon, faites-le vous-même.

Après dix ans, j’étais fatigué de tout ça. Je voulais sortir de là. Et le seul chemin vers la sortie était le suicide.
J’ai vu plein de mes amis se suicider. Vous savez quand l’un d’entre eux va se suicider. Il ne parle plus, ne mange plus, ne va plus dans la cour. N’est plus sociable, ne s’occupe plus de lui, ne va plus aux toilettes et ne prend plus de douche, ne se coiffe plus. Il a l’air vraiment étrange, vous savez que tôt ou tard, il va se tuer. Vous pouvez le dire. Vous pouvez le sentir venir.
Je n’ai jamais vu mes amis se tuer, parce que je ne pouvais pas voir à travers les murs. Mais je vois lorsqu’ils emmènent le corps. Quelque chose derrière ma tête dit « Tu ne vas pas regarder ton ami pour la dernière fois ? » J’attrape un miroir J’étire mes bras à travers les barreaux et je regarde lorsqu’ils sortent le corps. Voilà ce que je vois : un visage bleu violacé qui ne ressemble pas à mon ami. J’arrive aussi à voir quelque chose qui reste gravé dans ma tête. J’arrive à voir le nœud à son cou, parce qu’on n’enlève jamais ce maudit nœud. La vérité, c’est que les gardiens ne font rien. Ils ne font que regarder. Et vous faire passer un mauvais moment quand ils peuvent.
Je vais vous dire comment ils se tuent. Il y a ce qu’on appelle un « messager » qui purge une peine parmi les autres prisonniers. C’est un prisonnier, il n’est pas condamné à mort. Il travaille dans le bâtiment du couloir de la mort. Ce messager est celui qui nous fournit la nourriture, le dentifrice, la brosse à dent, le savon, le papier toilette, le balai
et la serpillière pour que vous puissiez laver le sol vous-même.
Le messager vous fournit aussi l’outil avec lequel vous pouvez vous suicider. Il le sait. Tout ce que vous avez à faire est de lui donner quatre timbres pour qu’il puisse écrire à son correspondant, ou lui donner un paquet de tabac à rouler, et il balancera cet outil dans votre cellule.
L’outil est très simple. C’est un sac poubelle en plastique, du genre de ceux qu’on voit autour, dans les containers à ordures, bien résistant. Vous prenez ce sac et vous le tordez en spirale et vous faites comme une corde avec. Vous y faites un nœud coulant. Vous mettez le noeud coulant à votre cou. Vous attachez l’autre partie aux barreaux. Vous vous jetez par terre. Et vous êtes mort, mais vous êtes libre.
Voilà ce que mes démons me disaient tout le temps : « Pourquoi veux-tu leur donner satisfaction ? Pourquoi les laisser te tuer alors que tu peux le faire toi-même ? Tu es censé être un vrai Porto Ricain, un homme vraiment courageux. Ne les satisfais pas. Fais-le toi-même. Tu dis que tu n’as pas commis le crime, tu penses qu’ils vont te croire ? Ils vont te tuer de toute façon. Ne les satisfais pas, satisfais-toi toi-même. Fais-le toi-même. »

Alors maintenant je veux faire ce voyage. Je veux sortir de là. Je suis fatigué d’être là. Alors je dis au coureur de me donner ce sac et je lui donne quatre timbres. Il me le donne, et je le tords de haut en bas. Je fais une corde avec. J’y fais un nœud coulant. Ensuite je regarde ce que je viens de faire et je regarde ma couchette. Et je me dis , je ferais mieux de m’allonger et de penser à ça un petit peu plus.
Donc je prends cette corde et je la jette sous la couchette pour que les gardiens ne la voient pas en passant et je m’allonge. Quand je m’allonge, je tombe dans un profond sommeil et je commence à rêver. Je commence à rêver que je suis redevenu un petit garçon qui fait ce que je faisais lorsque j’étais enfant, des choses qui me font rire, les choses qui me rendent heureux.
Comme je vous l’ai déjà dit avant, j’ai grandi à Porto Rico. À l’est de ma maison il y a montagne magnifique. Si je vais six minutes vers le sud, je me trouve sur la plus belle plage du monde. Dans ce rêve, me voilà qui nage dans la mer des Caraïbes, en faisant les choses les plus merveilleuses que je faisais quand j’étais enfant, les choses qui me rendent heureux, les choses qui me font rire. L’eau est chaude. Le ciel est bleu. Le soleil brille. Les palmiers sont si beaux à voir, c’est une belle journée. Je suis en train de m’amuser sur cette plage dans la mer des Caraïbes. Et alors je vois quelque chose que je n’ai jamais vu avant. Je vois quatre dauphins qui viennent vers moi. Ils commencent à agiter leurs nageoires et à sauter comme font les dauphins. Je suis en train de danser là au milieu, je suis si heureux.
À ce moment-là je regarde vers la plage et je vois une vieille femme, elle me fait signe et elle sourit, elle a l’air si heureuse. Je sais pourquoi elle est heureuse. Elle est heureuse parce que je suis heureux. C’est ma chère maman.
Je me réveille alors. Quand je me réveille, mon lit a l’odeur de la plage. Je vais sous cette couchette et je vais directement vers les toilettes. Je regarde la corde et je regarde dans les toilettes. Je me dis : « Je ne veux pas mourir ». Et je tire la chasse d’eau, qui emporte cette corde.

De tous côtés on tuait les gens en Floride

Je crois que ma maman a souffert plus que moi. J’ai eu toutes les lettres. Je les ai toujours, mais celle-ci en particulier, je l’ai gardée avec moi tout le temps parce que si je suis déprimé ou si j’ai besoin d’un peu d’énergie, je peux prendre cette lettre et la lire et elle me remonte le moral.
La lettre dit ceci : « Fils, je viens d’installer un autel, et dans cet autel j’ai mis une statue de la vierge de Guadalupe. J’ai cueilli des roses et je les ai mises à l’intérieur. J’ai fait cinq ou six rosaires de prières chaque jour, en demandant un miracle. Et le miracle viendra. Je sais que tu es innocent et Dieu sait que tu es innocent. Mais tu dois mettre ta confiance en Dieu.
Tu dois mettre ta foi en Dieu. Sois bon. Continue à penser que tu vas y arriver. Et tu y arriveras.
Bon, parfois vous faites appel et vous perdez, tout votre espoir s’envole.
Alors vous faites comme un enfant. Quand un petit enfant apprend à marcher, il tombe. Et quand il tombe, il pleure et il est en colère, mais ensuite il se relève et il essaie encore de marcher. C’est ce que j’ai fait.
Je suis certainement l’homme le plus chanceux du monde. Je devrais être mort, parce qu’on tuait les gens de tous côtés en Floride. En réalité, je n’ai jamais signé mon mandat d’exécution, ce qui est vraiment étrange parce que j’ai vu beaucoup de gens là-bas qui sont arrivés après moi – on a signé leur mandat d’exécution et on les a tués. C’était à ce moment-là que je m’inquiétais, lorsqu’on tuait ceux qui étaient arrivés après moi.
Un jour je me rappelle que mon avocat est venu me voir. Elle avait des larmes dans les yeux et elle m’a dit qu’elle ne pouvait plus s’occuper de mon affaire. J’ai dit : « Pourquoi ? Je n’ai besoin d’aucun nouvel avocat au point où en est mon affaire maintenant, vous connaissez mon affaire mieux que quiconque. »
Et elle a dit : Vous savez quoi. J’ai perdu cinq clients. Et vous savez ce que je veux dire quand elle disait qu’elle avait « perdu cinq client » Elle voulait dire que cinq de ses clients avaient été exécutés.
Elle dit : « Vous les connaissez tous, ce sont tous vos amis, je ne peux plus faire (ce travail). Mais je vais parler à l’agence et leur faire assigner les 3 meilleurs avocats qu’ils aient. Et le meilleur enquêteur.
J’ai finalement eu l’équipe de rêve.
Voilà le nouvel avocat qui m’a été assigné. Il dit : Melendez, vous avez perdu de trop nombreux appels.
La vérité, c’est que quand vous perdez des appels, vous vous rapprochez de plus en plus de la mort. Vous devenez ce qu’ils appellent un bon candidat pour que le gouverneur signe votre mandat d’exécution. Or j’en suis déjà là.
Il dit : « Nous allons essayer une fois de plus, mais si vous perdez celui-ci, vous aurez de la chance si vous vivez encore trois ans ».
Je dis : « Si je perds celui-ci j’aurai de la chance si je vis un an et demi. Vous savez qui est le gouverneur de la Floride ? Il s’appelle Jeb Bush. Il serait content de signer (mon mandat d’exécution).
Il dit : « Je vais devoir essayer encore une fois. Je vais envoyer un enquêteur voir l’avocat assigné à la défense dans votre procès. –celui qui me passait la main dans le dos- « pour voir si il ne lui reste pas des dossiers de votre affaire. Pour voir si quelque chose nous a échappé. »
C’est donc là qu’arrive le premier miracle. Mon avocat de la défense, celui qui me passait la main dans le dos, devient juge. Il est juge au jour d’aujourd’hui et je suis si content qu’il soit devenu juge. Parce qu’en devenant juge, cela a créé ce qu’on appelle dans le milieu juridique un conflit d’intérêts. Et j’ai pu faire sortir mon affaire hors de ce comté raciste, hors de ce comté où le crime s’était passé. Hors de ce comté où on a construit l’affaire à mes dépens.
Mon affaire a été déplacée de Polk County, Bartow, Floride, à Hillsborough County, Tampa, Floride. Et il est tombé entre les mains d’une femme courageuse, une femme qui voulait faire bien, une femme juge du nom de Honorable Barbara Fleischer. Je peux dire sincèrement qu’elle m’a sauvé la vie.
Quand mon enquêteur va chercher des dossiers auprès de l’avocat de mon (premier) procès –qui est devenu juge-, il lui dit « Je suis juge maintenant ! J’ai un nouveau bureau. Mais dans l’ancien bureau où je travaillais pour la défense je pense qu’il y a une boîte avec le nom de Melendez dessus. Vous pouvez y aller, vous pouvez la prendre et vous pouvez l’emportez.
Elle a quitté son nouveau bureau et est allée à son ancien bureau, là où il travaillait pour la défense. Elle est allée à l’étagère et a attrapé cette boîte. Devinez quoi ! L’aveu du véritable assassin était dedans et mon avocat l’avait un mois avant mon procès. Le pot aux roses est découvert. L’affaire est entre les mains d’une femme courageuse, une femme qui veut bien faire. La vérité c’est que tous les problèmes que j’ai eus dans mon affaire venaient du fait que les juges la regardaient morceau par morceau. Mais Honorable Barbara Fleischer voulait tout le gâteau, elle voulait regarder (l’affaire) tout entière.
Elle a immédiatement fait une (court order) demande de la cour ??? au bureau du procureur et demandé qu’il envoie tout dossier concernant mon affaire s’il en avait, avec un (court order). C’est ce qu’il a fait.
Devinez quoi ! Il avait aussi les aveux du véritable assassin un mois avant le procès. Et il avait des documents qui corroboraient ces aveux enregistrés, des documents qu’il n’avait jamais (renvoyés ???) à l’avocat de la défense à l’époque du procès, créant ce qu’on appelle dans le monde juridique « rétention de preuves à décharge » et « mauvaise conduite de procès »
Le Juge Fleischer avait donc tous ces moyens de défense. Avec tous ces éléments elle a écrit une « opinion ». Dans cette opinion, elle a sévèrement critiqué la façon dont le procureur s’était occupé de l’affaire. Elle a sévèrement critiqué l’enquêteur pour la façon dont il s’était occupé de l’affaire. Et elle a sévèrement critiqué celui qui me donnait des tapes dans le dos.
La façon dont je regarde ça, tout a à voir avec la procédure de mise en accusation. L’aveu est venu après la mise en accusation. Pour un procureur, il faut passer par (l’étape du) un grand jury pour pouvoir avoir une inculpation d’homicide volontaire et demander la peine de mort. L’inculpation se fait à huis clos. La défense n’est pas là. Les seules preuves là-dedans sont celles qu’on a contre vous. Vous n’êtes pas là pour vous défendre.
Donc il va dire aux journalistes « Je tiens l’homme qui a commis ce crime, je vais réunir un grand jury pour l’inculpation ». Après avoir eu cette inculpation contre moi il n’allait pas faire volte-face, en tout cas pas pour ce Porto Ricain. Il a dit aux journalistes « Je tiens l’homme, c’est l’homme qui va au procès, c’est celui qui a tué Delbert Baker » Vous voyez, quand il a eu cette cassette entre les mains, je suis déjà en route pour le procès, il ne va pas faire volte-face. Il est déjà dans les journaux en train de dire « Oui, Melendez, celui qui a commis le crime. De quoi est-ce qu’il va avoir l’air ?
Donc Barbara Fleischer a ordonné un nouveau procès. Elle a dit (au procureur) que l’affaire était terrible, que tout indiquait qu’on avait un homme innocent dans le couloir de la mort. Le procureur a décidé de ne pas faire appel à l’opinion du juge, de ne pas rejuger l’affaire. C’est pourquoi je suis ici, grâce à Dieu.
Je n’ai jamais su que j’allais être libéré. J’ai été pris par surprise. Voilà le gardien qui vient juste en face de ma cellule et me dit que je dois sortir. Une sortie signifie que vous allez à l’extérieur, devant la cour, vous occuper d’affaires juridiques. Comme j’avais un nouveau procès, je pensais que le procureur interjetait appel de la décision du juge, qu’il essayait toujours de me tuer, qu’il allait encore essayer de me garder dans le couloir de la mort pendant quelques années.
Vous n’allez jamais devant une personne de l’administration judiciaire (officer) sans les menottes. Ils vous passent les menottes à l’intérieur (de la cellule). Voilà comment ils font : vous leur donnez tous vos vêtements et vous les passez par une trappe dans la porte, et ils fouillent vos vêtements. Ensuite ils font ce qu’ils appellent une fouille corporelle. Croyez-moi, c’est très humiliant ; ils veulent tout voir. Ensuite quand on a fini avec ça il vous rend les vêtements à travers cette trappe dans la porte. Quand vous avez fini de les renfiler, vous vous tournez et à travers la trappe dans la porte il vous passe les menottes. Et ensuite il ouvre la porte.
Mais il n’en a pas encore fini avec vous. Il faut qu’il vous mette les fers aux pieds, des chaînes à la taille et ensuite il fallait qu’il change les menottes pour les attacher devant. Alors il vous passe les menottes devant et ils ont une boîte noire, ils mettent les menottes dans cette boîte et ils vous tordent les bras et vous pouvez à peine bouger les doigts. Vous marchez comme un pingouin. Tout le long.
Donc maintenant je vais en bas. Je vais monter dans un fourgon et aller là où on prend cette photo de moi. C’est dans le même bâtiment, dans la même prison, simplement ils ne veulent pas faire défiler un prétendu meurtrier parmi les prisonniers.
La raison pour laquelle ils prennent cette photo, c’est parce qu’ils veulent savoir à quoi vous ressemblez quand vous quittez cet endroit, au cas où quelque chose arrive en route.
Donc un paquet de gardiens s’approche de moi et je deviens parano). Je n’ai pas confiance en ces gens. Chaque gardien qui s’approchait de moi avait une chemise blanche. Quand vous voyez un gardien avec une chemise blanche, cela veut dire que c’est un colonel, un surintendant, un type d’un rang supérieur. Même le chef de la prison, le directeur, vient vers moi. Je suis devenu vraiment parano. Je m’arrête et je ne voulais plus avancer. Ils m’ordonnent de bouger.
Et voilà le surintendant de la prison, le plus haut placé de toute la prison. Il passe derrière moi et me passe la main dans le dos et me dit d’avancer. Il me rappelle l’avocat que j’avais à mon procès, celui qui me passait la main dans le dos. Je me dis, je suis fichu, ils vont me tuer.
Alors cet officier vient vers moi, il dit en espagnol : Melendez, ne commence pas à créer des problèmes. Avance. Tu vas au bureau des renseignements ? (information room) et je crois que tu as de bonnes nouvelles.
Je suis toujours sceptique, parano, mais je décide de bouger. Ils m’ont amené à ce bureau et ils m’ont fait asseoir sur une chaise. Il y a un bureau devant moi et derrière le bureau il y a une femme qui travaille sur des ordinateurs. Elle me demande mon numéro de sécurité sociale. Dans ma tête, je me dis, bon sang pourquoi est-ce qu’elle veut savoir mon numéro de sécurité sociale ? Mais je le sais par cœur et je le lui donne. Alors elle me pose des questions encore plus bizarres : Où allez-vous vivre ? Quel genre métier avez-vous ? Qu’est-ce que vous aimez faire ? Qui vit avec vous ? »
Je dois avoir fait une drôle de tête parce qu’elle s’est levée et elle a mis ses deux mains sur le bureau qui était devant moi et elle m’a regardé droit dans les yeux. Elle a dit : « Vous ne comprenez pas ce qui se passe ici, n’est-ce pas ? »
J’ai dit : Madame, je n’en ai pas la moindre idée. Je vis de l’autre côté de la rue et ça fait presque dix-huit ans que je suis là. Je suis dans le couloir de la mort. Personne n’a de travail dans le couloir de la mort.
Alors elle a dit : « Nous faisons les papiers pour vous libérer aujourd’hui. »
Je ne sais pas si vous regardez les dessins animés. Vous voyez ce personnage qui en frappe un autre sur la tête avec un marteau, et vous voyez cette grosse bosse qui sort d’un coup, et vous voyez des étoiles qui tournent autour de lui, et il est en état de choc. Voilà comment j’étais. Mais je souriais. Et je souris encore aujourd’hui.
Soudain, les gardiens se sont comportés différemment. Ils ont commencé à m’offrir des sodas et des sandwiches. Je leur ai dit : « Je ne veux pas de soda, je ne veux pas de sandwich, je veux retourner à ma cellule, faire ma valise (prendre mes affaires) et sortir de ce fichu endroit. »
Alors ils commencent à m’appeler comme ils ne m’ont jamais appelé auparavant, ils commencent à m’appeler « Monsieur Melendez ». Et ça me plaît.
Avant que je parvienne là-haut, tout le monde était au courant que j’allais être libéré. J’ai emballé mes affaires personnelles et les photos de mes tantes, mes petits-enfants et mes nièces. Et toutes les lettres. J’ai pris tous les produits cosmétiques et de ce genre et je les donne à mes amis parce que je sais que je vais pouvoir les acheter dans la rue.
Ensuite j’entends des pas dans le couloir. Tout d’un coup la porte de ma cellule s’ouvre avec un bruit sec. J’ai peur à nouveau. Parce que je n’ai pas confiance en ces gens. Trois gardiens et le capitaine de la prison entrent dans ma cellule. J’ai une peur terrible. Mais je me tourne pour qu’ils puissent me passer les menottes.
Alors que l’un des gardiens s’apprêtait à me mettre les menottes, le capitaine de la prison lui a dit : « Non ! Vous ne mettez pas les menottes à Monsieur Melendez aujourd’hui. Monsieur Melendez sort d’ici sans menottes. Monsieur Melendez rentre chez lui. Monsieur Melendez est un homme libre. Et ça aussi, ça m’a plu.
Donc maintenant je vais dire adieu à mon ami à (l’avant-dernière ???) cellule. Je veux lui dire adieu mais je ne peux pas parler. Je suis heureux. J’ai un sourire sur la figure et les larmes qui coulent, mais une partie de moi est encore triste. Parce que je dois les laisser, et que je connais leur destinée. Si nous n’abolissons pas cette peine de mort, ils vont tous les tuer.
Il pleurait mais il a pu me dire : Ne nous oublie pas. Ne t’attire pas d’ennuis à l’extérieur. Prends soin de toi. » Et la dernière chose qu’il m’ait dite c’est « Prends soin de ta maman. » Ils connaissent tous ma maman.
Maintenant je marche dans ce couloir et pratiquement tous me disent la même chose. Ensuite j’arrive à cette porte qui va me mener hors de cette aile. Avant d’ouvrir cette porte j’entends un applaudissement, ensuite j’entends un deuxième applaudissement, puis un troisième. J’entends un paquet d’applaudissements. Tout le bâtiment du couloir de la mort était en train d’applaudir. Ils applaudissaient si fort que les gardiens se sont mis en colère contre eux et leur ont dit d’être silencieux. Mais ils n’ont pas arrêté d’applaudir tant que je n’avais pas quitté cet endroit.
Quand j’ai ouvert la porte qui me conduisait à la liberté, voici ce que j’ai vu : j’ai vu un paquet de journalistes. Ils m’ont posé des questions idiotes. La première question qu’ils m’ont posée c’était : « comment vous sentez-vous ? « Et je leur ai dit que je me sentais heureux. Je suis un homme libre. Je rentre chez moi.
Ils m’ont demandé : « Qu’est-ce que vous voulez voir ? Qu’est-ce que vous voulez faire ? »
Je leur ai dit « Je veux voir la lune, je veux voir les étoiles, je veux marcher sur l’herbe, dans la poussière. Je veux porter un petit bébé dans mes bras et jouer avec lui, et bien sûr, je leur ai dit que je voulais parler avec une belle femme. Cette journaliste, elle était laide. (Mais c’est une blague).
Les choses que nous tenons tous pour acquises, les choses simples de la vie, dans le couloir de la mort, elles m’ont manqué. Je ne peux pas comprendre les gens qui vivent en liberté quand ils disent qu’ils s’ennuient. Je m’ennuyais dans ces murs, je ne m’ennuie pas dehors.J’ai toujours été d’homme qui s’assoit sur un rocher et regarde une montagne pendant des heures et des heures et en apprécie chaque minute.

Aujourd’hui, je suis toujours un rêveur. Je rêve et je prie que de mon vivant je puisse voir la peine de mort abolie.

Juan Melendez est le quatre-vingt-dix-neuvième condamné à mort dont l'innocence a été reconnue depuis le rétablissement de la peine capitale aux Etats-Unis en 1976.

Il anime depuis sa libération l’association américaine « Voix Unies pour la justice ».
www.voicesunited4justice.com

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