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Algérie : Disparus d’Algérie : 100 millions, un certificat de décès et on clôt le dossier
Posté par Peyron le 16/3/2006 12:24:56 (1521 lectures)

Entretien avec Nassera Dutour, porte-parole du Collectif des Familles de Disparus (CFDA) soutenu par l’ACAT
Mars 2006

Cette phrase lapidaire, prononcée par Farouk Ksentini, Président du mécanisme « ad hoc », institué par le Président Bouteflika pour faire des propositions sur les disparitions, préfigurait ce qui apparaît dorénavant en clair mais en langage plus châtié dans le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale approuvée par référendum le 29 septembre dernier.
La quête de vérité et de justice va, dans ce contexte, se compliquer d’autant que la charte prévoit des « mesures appropriées » pour ceux qui tenteraient de « nuire à l’honorabilité des agents de l’Etat qui ont dignement servi »….


Comment est né le CFDA ?

Evoquer les origines du Collectif est toujours difficile pour moi car tout est parti de l’enlèvement de mon fils, Amine, le 30 janvier 1997, à Alger : j’ai commencé alors un douloureux périple allant de casernes en postes de gendarmerie, de prisons en camps de détention, d’hôpitaux en morgues … tout cela pour me rendre compte que nous, les mères de disparu(e)s, étions considérées par les agents de l’Etat comme des pestiférées ayant enfanté des monstres !
J’ai soudain pris conscience de l’ampleur de la tragédie algérienne : une politique de terreur avait été instituée, le peuple était devenu l’ennemi de la Nation.
En rencontrant d’autres mères et épouses de disparu(e)s, je lisais dans leur regard la terreur que leur inspirait la seule idée de se regrouper pour demander des comptes
Aidée par des militant des droits de l’homme qui veillaient sur les événements d’Algérie, j’ai compris qu’il fallait que je prenne de la distance et je suis donc retournée en France où j’ai commencé à constituer, avec leur aide, des dossiers de disparus pour le Groupe de travail de l’ONU sur les Disparitions forcées.

Quels étaient alors vos objectifs ?

Au départ, il s’agissait de collecter de l’information, de la vérifier et de constituer les dossiers afin d’alerter notamment l’opinion internationale. Progressivement s’est imposée l’idée qu’il fallait lutter contre l’impunité en exigeant la vérité et la justice de la part des Autorités algériennes puisqu’une bonne part – 8000 environ - des disparitions incombait aux forces de sécurité.

Comment le mouvement s’est-il renforcé ?

De nombreuses mères, épouses et soeurs de disparu(e)s sont venues nous rejoindre afin de constituer leur dossier. Puis, en 1998, nous avons eu l’idée d’une tournée européenne pour faire connaître notre cause, cela s’est terminé par un rassemblement « monstre » de sympathisants et de journalistes de l’Europe entière devant le Palais des Nations Unies à Genève.
Confortées par un tel succès, les mères de disparu(e)s ont décidé de se rassembler régulièrement devant le siège de l’ONDH (Observatoire National des Droits de l’Homme) à Alger et plus tard dans toutes les grandes villes d’Algérie, tous les mercredis matins.
Forte de ce courant de mobilisation et malgré les nombreuses entraves des autorités, le mouvement s’est structuré sur place par la création de « SOS Disparu(e)s » avec une antenne par grande région d’Algérie. Ces antennes sont plus ou moins autonomes et le CFDA a vocation de coordonner les actions intérieures comme extérieures. Elles ont par ailleurs élaboré un mémorandum commun sur les bases suivantes :
- Certes l’indemnisation est une des formes de la réparation mais SOS Disparu(e)s souhaite contribuer à la définition des critères d’attribution.
- Mais de toutes les façons, le règlement du dossier des Disparu(e)s doit passer par la création d’une Commission « Vérité et Justice » indépendante.

En parallèle, les Autorités algériennes ont créé un mécanisme « ad hoc » pour tenter de régler le problème des disparitions ?

L’ONDH a, entre temps, été remplacée par une Commission de protection des droits de l’homme qui, elle-même a donné lieu en août 2003 à une sous-commission dite « mécanisme ad hoc », présidée par un avocat, Farouk Ksentini, chargée de rechercher les disparus et de proposer au gouvernement un système d’indemnisation des familles.

Donc, dès le départ, on envisageait en haut lieu, l’indemnisation comme solution au problème des disparitions forcées ?

Oui, d’où la fameuse déclaration de F. Ksentini qui chapeaute votre interview. Face au tollé des associations de familles de disparus, celui-ci s’est empêtré dans des déclarations contradictoires pour finir par reconnaître que « 6146 disparitions avaient été le fait des forces de sécurité mais que néanmoins (il était) favorable à une amnistie ». Le « mécanisme ad hoc » a finalement été un échec au point que son rapport destiné au Président de la République n’a jamais été divulgué.

Donc responsable mais pas coupable ?

D’après les déclarations de F. Ksentini, l’Etat « était le premier disparu » pendant ces années sanglantes, « il n’a donc pas pu donné l’ordre de faire disparaître systématiquement les personnes enlevées ». Donc s’il y a eu des actes répréhensibles, cela ne pouvait provenir que de l’initiative d’agents isolés des forces de sécurité ! Ce qui est évidemment pour nous une hérésie car l’Etat a toujours été présent, et hélas bien présent …

La charte de réconciliation nationale vient à point nommé pour couronner cette logique d’impunité ?

On ne peut être plus explicite : elle propose l’extinction des poursuites pour tous : terroristes - à condition de ne pas avoir participé à des tortures, viols et massacres – et agents de l’Etat. Mais qui ira se repentir d’avoir, à ce point, transgressé les droits de l’Homme ? Personne, bien entendu, et c’est ainsi que l’impunité s’installe aux dépens de tous les engagement internationaux de l’Algérie.

Votre démarche de « Caravane contre l’oubli » a-t-elle contribué à sensibiliser l’opinion européenne sur ce qui était en train de se tramer en Algérie ?

Avec une délégation de mères et de femmes de disparu(e)s, dite caravane contre l’oubli, nous avons, en effet, rencontré entre juin et octobre 2005 des institutions internationales. Nous avons été auditionnées par la Sous-commission des droits de l’Homme du Parlement européen puis nous avons été reçu par la délégation Maghreb du même Parlement, la Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Louise Arbour…etc. Toutes ces rencontres contribuent à l’internationalisation de notre lutte pour la vérité et la justice et renforce la détermination des familles de disparu(e)s : c’est ce que redoute le plus le Gouvernement algérien qui recherche une certaine notoriété au plan international.

La Charte consacre l’impunité et préconise l’indemnisation mais en même temps, elle contient une menace pour ceux qui chercheraient à mettre en cause l’Etat à travers ses agents : comment poursuivre le combat dans ce nouvel environnement ?

Que voulez-vous … On va continuer mais, c’est vrai, avec des risques nouveaux. Notre seule protection, c’est la prise de conscience des solidarités internationales. De nombreux pays européens se sont réjouis du résultat du référendum mais davantage sur la forme- l’Algérie s’exprimait de manière apparemment démocratique- que sur le fond - personne n’est dupe que cette charte contredit les engagements internationaux de l’Algérie. C’est à nous avec les ONG de défense des droits de l’homme de faire basculer le rapport de force en faveur du droit.

Le récent projet de convention sur les disparitions forcées adopté par le groupe de travail de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU pourrait-il devenir un levier dans cette perspective ?

C’est une avancée très importante du droit international mais le temps qu’elle soit ratifiée par les Etats, de l’eau aura coulé sous les ponts : c’est donc plutôt un outil de droit pour l’avenir de sorte que les Etats ne pratiquent plus les disparitions forcées en toute impunité. Néanmoins, il ne faut pas minimiser sa portée juridique dès aujourd’hui.

Dans la charte il est fait mention des agents de l’Etat qui ont commis des actes répréhensibles et qui ont été de ce fait condamnés : est-ce bien vraisemblable quand on sait que les centaines de plaintes que vous avez déposées auprès des Tribunaux algériens ont toutes abouti à un non lieu ?

La réponse est dans la question !

Une quarantaine de groupes de l’ACAT vous soutient. Que leur conseilleriez-vous pour mieux orienter leurs actions ?

Persévérer envers et contre tout : nous, les mères, les épouses, les sœurs des disparu(e)s, nous n’abandonnerons jamais, jamais ! Même s’ils nous persécutent- ce qu’ils ne manquent pas de faire- nous finirons par savoir et obtenir justice.
Il ne faut pas cesser d’écrire aux Autorités algériennes et françaises, aux membres des amitiés parlementaires franco-algériennes, à ceux de la délégation Maghreb du parlement européen…
L’ACAT au niveau national devrait demander au groupe de travail sur les disparitions forcées de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU d’effectuer une mission d’enquête en Algérie, comme son mandat le lui impose.
Et puis, voir le sourire des familles de Disparu(e)s quand elle ont reçu les cartes de l’ACAT, c’est très émouvant.


Propos recueillis par François Ferrand

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