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Peine de mort - Etats-Unis : Aba Gayle : Une américaine convertie aux vertus du pardon
Posté par acatparis5 le 23/5/2006 7:11:00 (1617 lectures)


Par Etienne Sengegera
Article publié par l’Echo de l’Ouest le 26 mai 2006

Dans le cadre d’une tournée organisée par l’ACAT, Aba Gayle a porté, du 7 au 25 mai 2006, dans plusieurs villes de France son message en faveur de la justice qui n’est pas synonyme de vengeance. Rencontre avec l’Américaine qui a pardonné à l’assassin de sa fille.
L’ACAT Paris V a organisé une rencontre publique avec Aba Gayle à la Maison fraternelle à Paris le 23 mai 2006.



Le jour (maudit) où, en 1980, elle reçoit à son bureau un appel téléphonique lui annonçant que Catherine, sa fille de dix-neuf ans, a été assassinée, Aba Gayle entame ce qu’elle qualifie de « voyage vers l’enfer ». Aba Gayle vit à Santa Rosa, au nord de San Francisco, quand elle apprend la nouvelle qui la plonge dans le deuil et le désespoir. « Ma fille s’est trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, quand un ancien camarade de son ex-fiancé est venu tuer ce dernier » raconte-t-elle d’une voix étonnamment douce…
Aba Gayle ? C’est la maman américaine qui a réussi à pardonner à l’assassin de sa fille Catherine, grâce à un cheminement spirituel hors du commun, jalonné de souffrance, d’interrogations, de doutes. Un cheminement dont l’ACAT en lien avec Amnesty international, l’a invitée venir témoigner dans le cadre d’une tournée en France.
(…)
« Perdre un enfant, raconte Aba Gayle, c’est comme perdre un bras ou une jambe. Pendant huit années, j’ai vécu dans un sentiment de colère terrible : quelqu’un devait payer pour la mort de ma fille. J’ai longtemps pensé à toutes les bonnes choses vécues avec elle. Longtemps, j’ai traîné la déception que la vie continuât comme si Catherine n’avait jamais existé. Je suis passée par toutes les étapes du chagrin… »

Un long et patient cheminement

D’abord le stade des alarmes, des pleurs : « le plus incroyable, poursuit Aba Gayle, c’est que je n’arrivais pas à pleurer devant d’autres personnes, sans doute, inhibée de manière inconsciente par le refus de leur infliger de la peine ! Sinon, je pleurais tant que les larmes m’empêchaient même de prendre le volant et que je passais beaucoup de temps sous la douche. ».
Vint ensuite « le stade du déni » celui où « l’esprit refusait, rejetait ce qui s’était passé ». Puis le stade de la colère, la colère notamment contre le procureur qui promet : « On va trouver le meurtrier, on va le juger, l’exécuter et, là, vous vous sentirez bien !. »
« Pendant huit longues années, je suis restée ancrée dans la colère, la rage et l’impuissance. J’étais dans cette colère qui infuse toutes les cellules du corps et qui vous empoisonne la vie. Je sais aujourd’hui que cette colère, cette rage, rend malade », analyse Aba Gayle.
Quand on lui propose de suivre des séances de méditation, elle y trouve une bonne raison pour ne pas rester enfermée chez elle. Ce sera « la seule occupation que mon mari ne jugera pas inutile et stupide ». Lors d’une séance qui réunit plusieurs participants, elle se confie : « Je ne sais pas pourquoi je suis là ! » « Vous êtes là pour trouver la foi », lui répond un autre participant.
Aba Gayle confie qu’elle a appris au cours de ces séances de méditation en groupe à s’asseoir en silence et à écouter sa voix intérieure. Ce sera la première étape d’un long et patient cheminement. L’étape suivante viendra sous la forme d’un devoir filial : « Je me suis souvenue que mes parents aimaient aller ensemble à l’église. Amenée à m’occuper de ma mère tombée malade, je me suis dit que je pouvais bien l’accompagner à l’église et cela lui a donnée beaucoup de bonheur d’y aller avec moi. Mais, pour moi, il était entendu que j’y allais seulement pour maman. »
« Un dimanche pourtant, poursuit-elle, ce que j’y entendis correspondait parfaitement à ce que j’avais besoin d’entendre… »Elle continuera sa quête par des livres, découvrant la foi des Hindous, l’histoire du prophète Mahomet et la fondation de l’Islam, l’histoire de Jésus : « J’ai compris qu’il y avait comme un fil d’or faisant la jonction entre tous ces prophètes, que nous sommes tous enfants de Dieu… »

Surprise de se découvrir capable de pardonner

Un jour, on lui montre une vidéo où un homme, un Juif, affirme qu’il avait pardonné aux Allemands et même aux gardiens chargés des exécutions dans les camps où toute sa famille avait été exterminée. « Waouh ! me suis-je dit, raconte encore Aba Gayle, si lui a pu pardonner, peut-être que moi aussi je peux le faire ? J’ai commencé à y penser, à me le dire. Je trouvais cependant qu’une telle décision n’avait rien de rationnel, mais une nouvelle semence était désormais plantée dans mon cœur. »
Douglas, le meurtrier de la fille d’Aba Gayle, avait été arrêté, jugé et condamné à mort. « Un jour, raconte Aba Gayle, j’ai reçu un courrier officiel m’annonçant que la date de son exécution était fixée. Douglas attendait dans le couloir de la mort. J’ai repensé à la notion du pardon, tout en me disant que j’assisterai à son exécution et que, nul plus que moi, n’aurait le droit d’y être. J’ai cependant entendu une petite voix intérieure qui me murmurait : « Tu dois lui pardonner et tu dois lui faire savoir ! « Je n’en ai pas dormi de toute la nuit. »
Elle passerai presque toute la nuit à rédiger une lettre à Douglas, jetant plusieurs brouillons avant de retenir, passé quatre heures du matin, la version dans laquelle elle lui dit : « Il y a douze ans, j’avais une merveilleuse jeune fille, vibrante de santé, irradiant l’amour et le bonheur avec son joli sourire. Elle a quitté sa vie sur terre et elle est aujourd’hui dans un meilleur endroit. .. Je sais que j’ai été privé d’un enfant précieux et qu’on lui a dérobé à elle la vie qu’elle avait devant elle. »
« La mort de Catherine, poursuit Aba Gayle, dans la lettre à l’assassin de sa fille, a été un moment crucial de mon existence. J’ai ressenti de la colère contre vous qui l’avez tuée. Vous avez aussi causé des torts irréparables à ma famille. Àprès huit années de deuil et de colère, j’ai recommencé mon voyage de vie. J’ai été surprise de découvrir que j’étais capable de vous pardonner. Cela ne signifie pas que vous êtes innocent. Mais, comme moi, vous êtes un enfant de Dieu. Le Christ en moi souhaite le meilleur au Christ qui est en vous. J’ai l’intention de venir vous voir en prison si vous souhaitez une telle visite.. »
Aba Gayle signe sa lettre « La maman de Catherine ». Elle la fait lire au groupe avec lequel elle est engagée dans son cheminement spirituel. « C’est grâce au soutien des membres de ce groupe que j’ai eu la force nécessaire pour la poster. Et, après, toute ma colère, tout mon ressentiment s’est miraculeusement envolé. À la place, la joie et la paix, l’état de grâce pour avoir offert le pardon à un autre être humain. J’ai su alors que, là, j’étais définitivement guérie. J’avais obtenu du pardon donné la guérison dont j’avais besoin », confie-t-elle.


Un meurtrier bourré de remords

Sa lettre à Douglas n’est pas restée dans réponse. Elle qui se demandait quel genre de lettre un tel « monstre » pouvait écrire, n’est pas peu surprise de recevoir « une lettre d’un homme très intelligent, bourré de remords et qui souffre des manques qui auront marqué sa vie ». Le détenu Douglas conclut sa missive en assurant qu’il donnerait sa vie si cela pouvait changer « la nuit terrible » où il avait pris celle de Catherine…
« J’ai demandé à aller le voir. Et il a fallu quatre-vingt-dix jours à l’administration pénitentiaire pour déterminer si cela ne constituerait pas une menace », s’indigne encore Aba Gayle qui ajoute : « Le jour où j’ai été le voir restera l’un des plus effrayants de ma vie. J’ai conduit ma voiture comme dans un état second jusqu’à la porte de cette horrible prison au nord de San Francisco. Mais, dans le couloir de la mort, je n’ai pas vu un seul monstre, mais des hommes recevant des visites. En chacun d’eux, j’ai vu le visage de Dieu. Douglas m’a dit : « Gayle, vous me faites un honneur immense par votre visite. » Nous avons pleuré ensemble tous les deux pour ce que j’avais perdu et pour ce qui lui aussi avait perdu – sa mère morte alors qu’il n’avait que seize ans. Il était là et il pleurait. Nous pleurions au milieu des visiteurs et des autres prisonniers. »
Aba Gayle estime que, par cette visite, elle a plaidé « politiquement et socialement » contre la peine de mort « et pas seulement pour Douglas » qui avait tué sa fille.
Ce témoignage fort, porté par la voix d’une maman d’une jeune fille qui n’a vécu que dix-neuf ans, a été donné au nom des familles des victimes qui, aux Etats-Unis, s’élèvent contre la peine de mort perçue comme « une pratique cruelle, inhumaine et dégradante ».

Un leurre et un alibi pour se faire élire

L’histoire racontée par Aba Gayle n’a rien d’un cas unique. Aba Gayle milite aujourd’hui au sein d’une association , la Murder Victims Families for Reconciliation, (association regroupant des familles comptant des victimes d’assassinats et prônant pour la réconciliation). Elle correspond avec des condamnés qu’elle considère comme des « amis » auxquels elle rend visite dans le couloir de la mort. « Ce sont des personnes qui, pour la plupart, ont été victimes de sévices dans leur enfance et qui n’ont eu personne à qui se raccrocher dans leur vie », estime-t-elle. Avant d’accuser : « Il y a peu de justice dans le système judiciaire américain. Nos responsables politiques prétendent qu’ils sont favorables à la peine de mort pour tenir compte de notre souffrance, pour guérir nos blessures. C’est faux. C’est pour eux un alibi destiné à se faire élire, parce qu’ils croient que l’opinion est majoritairement en faveur de la peine de mort. Ils ne croient pas en ce qu’ils proclament. »
« Je refuse de penser que ce serait difficile, voire impossible d’abolir la peine capitale aux Etats-Unis sous prétexte que le système fédéral complique la situation sur le plan juridique. De toute façon, il faut cesser de confondre justice et vengeance. Nous n’avons pas tuer quelqu’un sous prétexte de le punir ou de nous assurer la sécurité. La peine de mort correspond à la volonté de neutraliser définitivement un être humain, alors que s’il reste en vie, il y a quelque chance qu’il s’amende et change de route. La justice qui tue légalise des meurtres dont elle ne doit pas rendre complices les proches des victimes d’assassinats qu’elle prétend ainsi punir », insiste Aba Gayle.
Avant de conclure en martelant le slogan « Not in our name ! » (« Pas en notre nom »), résumant le combat des abolitionnistes, « plus nombreux que l’on ne le dit aux Etats-Unis », Aba Gayle lance une pierre dans le jardin d’un homme politique vendéen : « J’ai entendu dire qu’il y a chez vous un politicien qui serait favorable au rétablissement de la peine de mort en France, sous prétexte que cela réduirait la criminalité. S’il vous plaît, dites-lui que ce n’est qu’un leurre.. .Même les Américains qui ne jurent que par la Bible avec l’Ancien Testament pour référence finiront pas apprendre que le principe « œil pour œil » ne ferait que rendre toute le monde aveugle. »

Le site de la fondation Catherine Blount
http://www.catherineblountfdn.org/

Murder Victims Families for Reconciliation
http://www.mvfr.org/

The Journey of Hope...from violence to healing
http://www.journeyofhope.org/

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