Maison d'arrêt de la Santé : entretiens avec Pierre Raffin, son directeur

Date 11/3/2003 0:00:00 | Sujet : La détention en France

Compte rendu des deux entretiens réalisés avec Monsieur Pierre Raffin, Directeur de la Maison d’arrêt de Paris la Santé, effectués les 18 décembre 2002 et 11 mars 2003 par Jean-Marie Landrin et Jean-Marc Peyron (membres de l’ACAT).
Par ailleurs, Monsieur Pierre Raffin a accepté une rencontre débat à l'initiative de l'ACAT Paris V le jeudi 11 novembre 2003 à la Maison fraternelle.
Rédaction du compte rendu : Jean-Marc Peyron
Objectif des entretiens :
Ces deux entretiens avaient pour objectif de faire le point sur l’état d’avancement des réponses apportées par le Gouvernement français (réf CPT/Inf (2001) 11) aux observations faites par le Comité européen de prévention de la torture dans son rapport relatif à sa visite en France effectuée du 14 au 26 mai 2000 (réf CPT/Inf (2001) 10).


Le compte-rendu

Selon Monsieur Raffin, un regard extérieur au monde pénitentiaire est utile et favorise la transparence sur la situation dans les prisons. Lui-même a déjà accueilli une visite du CPT alors qu’il était en charge de la maison d’arrêt d’Aix en Provence. Monsieur Raffin avait participé au Conseil d’orientation stratégique .
La violence
Le « caïdat » ainsi que les conséquences de la déstabilisation sociale et psychologique que provoque l’incarcération sont les causes essentielles des mauvais traitements entre détenus. La Maison d’arrêt de la Santé ne disposant que d’un surveillant pour 100 détenus, la gestion matérielle prime sur la prise en charge psychologique et sur l’accompagnement personnalisé. La situation à cet égard est meilleure dans les Maisons centrales (un surveillant pour vingt détenus) même si ce taux d’encadrement reste l’un des plus faibles d’Europe.


La population carcérale

52 % d’étrangers (alors que la moyenne française se situe à 12 %) pour quatre-vingt deux nationalités. La notion de nationalité ne recouvre pas celle de l’ethnie et le mélange des ethnies peut-être elle-même source de conflit.Le réalisme et la demande des détenus se rejoignent, dans la plupart des cas, pour appliquer le principe de regroupement par ethnies, l’affectation arbitraire se révélant ni possible ni souhaitable. Les travestis sont envoyés notamment à Fleury. Les délinquants sexuels ne sont pas regroupés au sein de la Maison d’arrêt ce qui exige une vigilance accrue au moment de l’incarcération. Récemment, la population a augmenté rapidement ( de 1 100 à 1 350 détenus) ce qui pose des problèmes de gestion importants. Si dans les années quatre-vingt l’admnistration était parvenue à gérer tant bien que mal des niveaux records de surpopulation (jusqu’à 2 000 détenus), aujourd’hui une telle surpopulation serait difficilement gérable dans la mesure où les temps ont changé.
En effet, le respect de normes minimales est devenu une exigence de la société et l’usage généralisé, répété et prolongé de stupéfiants divers au sein de certaines couches de la société française (médicaments, alcool..) a provoqué des changements profonds de comportement.
Selon Monsieur Raffin, on constate une évolution inquiétante : la petite et moyenne délinquance étant devenue très lucrative et très organisée, les efforts de réinsertion sont devenus excessivement difficiles.


L’état des bâtiments

Les bâtiments sont solides et les espaces intérieurs bien conçus mais les espaces extérieurs font défaut. Ceci explique la modestie des activités sportives proposées (uniquement des salles de musculation). En revanche, dans les nouvelles prisons construites depuis vingt ans, il a été décidé de consacrer un tiers de l’espace à des activités de plein air.
Les cabines des arrivants ont bien été supprimées et ceux-ci sont regroupés par deux dans des cellules normales. La rénovation des bâtiments se poursuit d’année en année jusqu’à la restructuration complète de la Santé . Une restructuration de La Santé est en effet à l’étude et un appel d’offre sera bientôt lancé. Dans six mois, il sera possible d’évaluer les propositions des architectes en fonction des trois options possibles : rénovation, transformation ou reconstruction.

L’hygiène et la restauration

Le cloisonnement des sanitaires est en cours et en 2002 un quart des cellules bénéficie de ce cloisonnement (qui réduit le voume utile pour les détenus). Ce cloisonnement provoque donc parfois un mécontentement. Le programme de cloisonnement sera poursuivi en 2003.

Toutes les douches ont été rénovées mais leur utilisation intensive nécessite une maintenance constante. L’établissement dispose d’un bloc sanitaire par étage. Chaque détenu bénéficie au minimum de trois douches par semaine, parfois plus en fonction de la disponibilité du personnel de surveillance (notamment avant le parloir). La majorité des incidents entre surveillants et détenus se déroulant autour de l’accès aux douches, on comprend l’intérêt d’installer des douches individuelles. La rénovation de 4 000 cellules (programme dit
des 4 000) a opté pour la création de douches individuelles même si, au départ, les consultants chargés par le ministère de la justice de réfléchir à cette rénovation étaient opposés à cette option pour des contraintes techniques (ventilation, extraction) et par crainte d’une utilisation excessive d’eau chaude.
L’installation des monte-charges pour l’acheminement des repas est achevée ce qui devrait permettre de servir des repas chauds.


Le travail en prison en régression

Entre cent cinquante et cent quatre vingt détenus y ont accès, les principaux concurrents des concessionnaires (au nombre de six à la Santé) et de la régie industrielle des établissements pénitentiaires étant les Centres d'Aide par le Travail (C.A.T.) qui sont subventionnés et les entreprises installées dans les pays émergents. La proposition du Sénateur Paul Loridant de créer un label à caractère citoyen pour les produits réalisés en prison semble difficile à mettre en œuvre. Une étude est en cours sur l’emploi à la Maison d’arrêt de La Santé qui déterminera le nombre d’heures effectuées par les détenus. Aujourd’hui, l’absence d’espace disponible exige que le travail soit réalisé au sein de la cellule ce qui n’est pas souhaitable d’un point de vue de sécurité (incendie notamment) et pour des raisons de mode de vie (le lieu de travail et le lieu de vie doivent être différents). Le travail proposé aujourd’hui (essentiellement du façonnage) n’est pas suffisamment formateur ce qui s’explique en partie par le fait que le temps d’incarcération moyen se situant entre quatre et six mois, il n’est guère rentable pour les concessionnaires de proposer une formation approfondie aux détenus.
La prévention des suicides
Une attention particulière est portée par l”administration pénitentiaire aux moments à risque pour le détenu : son arrivée, son éventuel isolement en quartier disciplinaire, lors du procès pénal, lorsque les relations familiales se dégradent. Cette attention passe par la rencontre avec une équipe spéciale d’accueil, l’accès aisé au médecin, par la prise en charge de petits détails matériels (cellules arrivants propres, une douche à l’arrrivée ..).
Depuis peu, des consignes nouvelles sont en vigueur après un suicide : contact direct avec la famille, communication des circonstances du décès notamment.


La formation

La formation professionnelle proposée par l’administration pénitentiaire n’est plus, dans l’ensemble, considérée comme attractive ce qui constitue un changement radical par rapport à la situation constatée il y vingt-cinq ans où le travail constituait une préoccupation majeure.
La santé
Dans le domaine de la santé, on relève une difficulté croissante à recruter des médecins et des infirmiers. Aucune permanence de soin n’est assurée en psychiatrie et seulement un tiers des cellules dispose d’un interphone de nuit. Une ronde de nuit est systématiquement ssurée toutes les deux heures.
Quartier disciplinaire et isolement administratif
En matière d’isolement disciplinaire, toutes les cellules sont aux normes de l’administration (cellules normales). Le nombre total de cellules affectées à l’isolement disciplinaire est de dix (Les deux spécificités majeures du quartier disciplinaire étant l’absence de contact avec les autres détenus et la suspension de toute activité).
Quant à l’isolement administratif à la demande du détenu (rare en maison d’arrêt) ou sur décision de l’administration (dangerosité), le Conseil d’Etat devrait un jour statuer en faveur d’un recours administrarif par le détenu de la décision d’isolement comme cela est déjà le cas en matière d’isolement disciplinaire.


Le personnel

Aujourd’hui, la Maison d’arrêt de la Santé emploie quatre cent cinquante surveillants et cent agents administratifs. Compte tenu des difficultés de logement sur Paris, on constate une rotation élevée du personnel de La Santé.
Une campagne de recrutement massif au niveau national est en cours. Même si L’ENAP est réputée pour son enseignement de qualité, un décalage est constaté au moment de la prise de fonction effective par rapport à la réalité du terrain compte tenu de la difficulté de la gestion concrète d’un établissement.
Beaucoup de programmes européens autour de la prison sont en cours mais leur harmonisation fait défaut.





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