Des femmes tondues à la Libération par Fabrice Virgili

Date 25/5/2009 10:31:59 | Sujet : La question du genre



Des femmes tondues à la libération




La France « virile » Des femmes tondues à la Libération


Transcription de la conférence de Fabrice Virgili , chargé de recherche à l'IRICE-CNRS- Université Paris 1 , le 13 mars 2008, à la Maison fraternelle (Paris 5 ème ), à l'initiative de l'ACAT Paris V en association avec l'ERF Quartier Latin-Port Royal.


L'ACAT Paris V remercie vivement Monsieur Fabrice Virgili pour la qualité de son intervention.


Résumé  :


La France sera virile ou morte », a-t-on dit en 1944. Virile, elle le fut, et les tontes des femmes accusées de collaboration en témoignent. Sur cet épisode de notre histoire qui, aujourd'hui encore, continue de susciter un malaise, on croyait tout savoir : ayant couché avec l'ennemi, des femmes avaient été violemment punies, dans un très court laps de temps, par des foules vengeresses et des résistants de la dernière heure.


La recherche menée par Fabrice Virgili révèle notamment que la moitié seulement de ces femmes avaient eu des relations sexuelles avec les Allemands ; que les tontes n'eurent rien d'éphémère, puisqu'elles s'étalèrent de 1943 à 1946 —- deux dates qui impliquent que, parmi les tondeurs, il y eut aussi des résistants et que les autorités, après la Libération, couvrirent » cette pratique ; et que vingt mille personnes environ furent touchées, de tous âges et de toutes professions, dans la France entière.


Que s'est-il réellement passé ? Pourquoi des femmes ? Et quel sens donner à cet événement ?


Le cliché de la jeune femme innocente tondue par une foule spontanée et haineuse pour avoir « couché » avec un allemand.


Ce n'est que petit à petit, à partir de questions très simples, que j'ai pu m'apercevoir que ce cliché ne fonctionnait pas, qu'il ne correspondait pas à la réalité.


Les questions élémentaires que je me suis posées sont les suivantes :



  • Ces violences ont-elles eu vraiment lieu ? – au-delà de quelques photos emblématiques comme celle de Robert Capa à Chartres où l'on voit une femme tenant un enfant dans les bras.

  • Est-ce que des événements similaires se sont déroulés ailleurs qu'à Chartres ? Quand ? À la Libération ? Uniquement à la Libération ? Qui est tondu ? Comment cela s'organise-t-il ? Et pourquoi ces événements ont lieu ?


Le mythe de l'incident spontané et isolé


Sans aucun doute, ces violences ont lieu massivement à la Libération. Mais quand on commence à chercher, on en trouve aussi plus tard au cours de l'hiver, à nouveau au début de l'été 1945 et jusqu'en février/mars 1946. Les tontes ne s'arrêtent donc pas immédiatement après la Libération, ce qui correspond pour les 2/3 du territoire français à la période qui s'étend du 15 août au 15 septembre 1944.


Ce premier constat change déjà la nature du problème. On ne peut pas alors considérer qu'il s'agit uniquement d'un phénomène spontané et isolé dans le temps. C'est un phénomène qui dure et commence d'ailleurs avant le débarquement dès 1943 avec des menaces de tontes en 1942, en 1941. L'idée d'un châtiment corporel des femmes qui ont des relations avec des Allemands apparaît dès juillet 1940 quand dans un pamphlet écrit dans la clandestinité par un socialiste, Jean Texier, qui donne des conseils de comportement aux Français. Parmi l'ensemble des conseils on trouve par exemple -ne pas tenir la porte à un allemand, s'il vous demande où aller ne pas lui donner le bon chemin-, à un seul moment il envisage un châtiment corporel c'est quand des femmes sourient trop tendrement à un allemand. L'idée de la tonte apparaît dans les premiers tracts de la résistance en 1941, les premières tontes ayant eu lieu en 1943.


L'explication selon laquelle le mouvement serait spontané, ne peut donc plus être retenue.


De plus, si les premières tontes ont lieu en 1943, ce ne sont pas les résistants de 25 e heures qui peuvent en avoir été responsables comme on a eu coutume de l'affirmer jusqu'à présent.


Il y a bien des hommes qui tondent des femmes dans la clandestinité en 1943 qui sont arrêtés et déportés pour ce motif. Car pour les Allemands, cela ne fait aucun doute que tondre une femme en 1943 ou en 1944, constitue un acte de résistance.


Ces tontes ont lieu la nuit, lors de l'attaque de domiciles de collaborateurs. L'un des objectifs de la résistance consiste en effet à tenter de faire changer la peur de camp. Alors que la population et les résistants en tout premier lieu vivent sous la crainte de représailles de l'occupant, l'idée de la résistance est d'essayer d'intimider les collaborateurs en attendant le jugement qui interviendra à la Libération. La tonte est donc un moyen de faire peur à ceux qui seraient tentés de se rapprocher trop des Allemands.


Pour l'après libération, d'avril à juin 1945, dans un bon tiers des départements français, on constate une recrudescence des tontes car plusieurs événements se déroulent à ce moment-là :



  • Le retour des déportés, des prisonniers et des travailleurs forcés d'une part

  • Le retour des travailleurs volontaires et de celles et ceux qui ont suivi en Allemagne l'armée allemande en retraite d'autre part.


On constate alors une recrudescence de l'épuration. Et à ce moment-là, les femmes de retour d'Allemagne sont tondues sur les quais de gare dès leur descente de train. Tandis que les femmes qui ont été tondues au moment de la Libération, ont subi, quant à elles, leur châtiment sur les places publiques (églises, mairies).


Les tontes et toutes les dernières violences extrajudiciaires de l'épuration cessent au début de l'après-guerre que l'on situe habituellement à janvier 1946, date de la mise en place de la quatrième république et du départ du Général de Gaulle du gouvernement.


Où châtie-t-on ?


Tous les départements français ont été touchés, dans les grandes villes comme dans de petits villages. Si je ne pouvais pas chercher dans tous les villages, j'ai choisi en revanche un certain nombre de départements témoins l'Oise, les Côtes du Nord, l'Indre, l'Isère, la Moselle par exemple.


Dans ces départements, j'ai pu observer que des tontes avaient eu lieu dans de petits villages. Et ceci indépendamment de toute tendance politique : les territoires de gauche comme ceux de droite sont touchés. La ligne de démarcation n'a joué aucun rôle : les tontes se produisent d'un côté comme de l'autre de l'ancienne ligne de démarcation. En pays rural, en pays urbain, en montagne comme en plaine. Aucun paramètre ne différencie, au regard de la pratique des tontes, les différents départements français. Les tontes qui ont lieu à la Libération et qui représentent environ les 2/3 tiers de celles qui ont été pratiquées, se déroulent dans l'ensemble du territoire.


Si l'on raisonne en terme d'événement, on pense naturellement aux grands événements majeurs comme le débarquement en Normandie ou la bataille de Stalingrad qui ont modifié le cours de la guerre.


Si, en revanche, on raisonne en terme de vécu par les individus de ces événements, l'événement du débarquement par exemple n'a été vécu que par les soldats alliés qui débarquent, les soldats allemands qui sont en face et les populations normandes qui sont dans la région. Mais le reste des Français vit cet événement par les informations, par l'espoir qu'il peut susciter ou au contraire le désespoir. C'est un vécu indirect. Tandis qu'avec les tontes, comme l'exode en mai juin 1940 qui fut vécu par 8 millions de personnes, sont des événements vécus directement par des millions de gens. J'estime à 20 000 les femmes qui ont été tondues à la Libération. S'il est déjà difficile de compter les morts d'une guerre, pour ce type de violence qui, loin s'en faut, n'est pas répertoriée dans un registre, il faut donc procéder à de nombreux recoupements.


Au regard de ces 20 000 femmes tondues, ce sont des centaines de milliers, voire des millions de Français qui en ont été les témoins directs : enfants comme adultes.




Qui est visé ?


Ce châtiment touche-t-il uniquement des femmes jeunes ?


La moyenne d'âge est 27 ans. 27 ans c'est jeune mais ce n'est pas la toute jeune fille. La fourchette s'étendant de 16 à 69 ans. On pense souvent qu'il s'agit de femmes de condition modeste et que les femmes de la bourgeoisie et de milieux privilégiés auraient été épargnées. On retrouve effectivement des femmes de condition modeste qui travaillent auprès des Allemands comme lingères, cuisinières mais très peu de femmes issues du milieu ouvrier. En effet, le milieu ouvrier de l'époque fonctionne sur le principe d'une surveillance collective de la communauté entre elle et cela rend les femmes beaucoup moins isolées de leur milieu. Mais on rencontre beaucoup d'institutrices et je me suis beaucoup interrogé sur ce fait.


En fait, la clé d'explication de ce phénomène de collaboration c'est la proximité avec les Allemands. Or, précisément, la pièce généralement réquisitionnée pour loger un allemand c'est soit l'école soit la mairie. Les institutrices ont donc été plus que toute autre catégorie sociale, en contact avec des soldats allemands.


L'institutrice va donc être amenée à vivre à proximité d'un allemand pendant plusieurs années. Pour cela, elle est donc d'emblée considérée comme suspecte par la population.


À l'inverse, les prostituées sont épargnées, même si par ailleurs les injures liées à la prostitution sont couramment utilisées. On considère alors que cela fait partie de leur métier et qu'elles n'ont donc pas le choix. Il faut rappeler qu'à l'époque la prostitution bénéficie d'un régime contrôlé et que les prostituées sont « encartées ».


Le lien entre châtiment et relation sexuelle est donc loin d'être évident.


J'ai constaté par ailleurs que la moitié des femmes n'avaient pas été tondues au titre de la « collaboration horizontale », formule triviale mais très couramment employée alors, mais pour dénonciation, pour participation à des organisations collaborationnistes, pour travail pour l'ennemi. En d'autres termes pour des motifs identiques à ceux reprochés aux hommes.


Pourtant, la mémoire collective n'a retenu que la tonte infligée aux femmes qui étaient accusées d'avoir eu des relations sexuelles avec l'ennemi.


Cela signifie que nous avons à faire à une société qui ne peut envisager qu'une femme puisse s'engager autrement que par insouciance, par obéissance à un mari, ou par appât du gain.


C'est un processus de dépolitisation de l'engagement féminin qui ne peut être considéré autrement que de nature sexuelle. Dans l'analyse des motivations des femmes qui rejoignent la résistance, on va également dépolitiser leur engagement : on évoquera par exemple le besoin de remplacer un mari ou un frère absent.


C'est par référence à une fidélité à l'homme que la société va expliquer que les femmes collaborent ou bien s'engagent dans la résistance.


La tonte est en définitive le châtiment supplémentaire infligé aux femmes au nom d'une collaboration quelle qu'en soit la nature.


Comment châtie-t-on ?


On rencontre plusieurs cas de figures.


L'image la plus répandue est celle la tonte publique et le besoin nécessité de montrer ce châtiment au plus grand nombre. On prend à témoin l'ensemble de la population qu'elle soit villageoise ou urbaine. Le spectacle de l'humiliation et de la dégradation se déroule en direct.


Mais il y a aussi le cas de la tonte pratiquée dans la clandestinité, la nuit sans témoin. Là, l'humiliation a lieu en différé.


Au moment de la Libération, toutes les tontes ne se déroulent pas sur place publique parfois aussi à l'abri des regards à l'abri des regards dans les prisons et dans tous les lieux qui servent d'internement provisoire. La Libération est par ailleurs le moment par excellence du provisoire : les Allemands sont partis mais les nouvelles autorités ne sont pas encore en place.


Ce sont des moments confus de plusieurs jours où l'on ne sait pas toujours qui représente le pouvoir et quel pouvoir. On agit dans l'urgence, on arrête des gens et on les place dans des lieux provisoires de détention, les mairies, les écoles, nous sommes au mois d'août et les élèves sont en vacances. D'autres tontes ont lieu également à domicile.


Dès lors, soit on montre les victimes au moment même de la tonte sur la place publique soit on les fait défiler après dans les rues quand elles ont été tondues dans un lieu clos.


Des centaines de photographies, et pas uniquement celle de Robert Capa, témoignent de ces défilés qui se déroulent sur les principales places publiques (la mairie, l'église, la Canebière pour Marseille, le Boulevard St Michel pour Paris…). Il s'agit d'un processus de réappropriation de l'espace public. Les tontes ne sont pas isolées du reste de la Libération. On met à sac les locaux collaborationnistes, on arrache les plaques « rue du Maréchal Pétain », les affiches de la propagande allemande, on va se recueillir devant le monument aux morts, on va écouter le discours du président du comité local de la Libération, on va tondre des femmes, on va insulter des prisonniers, on va danser, on va chasser les derniers soldats et les derniers collaborateurs qui se cachent. Tout cela se mêle dans ces journées. On assiste à une véritable explosion de joie mais aussi dans le même temps à une volonté de s'en prendre à ceux que l'on considère comme ayant trahi, hommes comme femmes. Certaines villes ont connu deux libérations : la ville se libère, les Allemands reviennent et la ville se libère ou est libérée une seconde fois. La Libération, ce n'est pas encore la paix, c'est un moment charnière : c'est encore la guerre mais cela se rapproche de l'après-guerre avec l'idée que l'on est en train de s'en sortir. Mais les tontes font partie de cette urgence : dès la Libération, il est considéré urgent de s'en prendre aux collaborateurs en les arrêtant, en les tabassant, en les exécutant, et pour les femmes, en plus en les tondant.




Qui est responsable ?


On entend souvent dire que ce seraient les résistants de la 25 e heure, voire même des collaborateurs prêts à se racheter une conduite, qui auraient orchestré ces tontes. L'explication est peut-être séduisante mais elle ne correspond pas à la réalité.


Qui est donc le responsable : est-ce que c'est la personne qui tient la tondeuse ?


Bien sûr que non et souvent on fait simplement appel au coiffeur du village.


Mais quand on regarde les images de tontes, on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un tête-à-tête entre une femme et un homme. Du point de vue de la méthodologie, il est intéressant de souligner que l'existence de la photographie est irremplaçable car aucun procès-verbal de gendarmerie aussi précis soit-il ne vous montre les gens au moment de cette tonte. Il y a toujours un premier cercle de personnes exclusivement masculin et dont chacun des participants porte un symbole de pouvoir : un brassard, un casque, une arme, un uniforme. C'est toujours ce premier cercle qui tient la femme, la tond, la fait avancer ou reculer, la montre devant l'appareil photographique ce qui fait partie de l'humiliation – on va tenir sa tête- on va lui faire des cornes- au moment de la prise de vue. La photographie n'est pas seulement un témoignage. Elle fait partie de cette violence.


Autour de ce premier cercle, vous remarquerez qu'il y a beaucoup de gens qui ne sont pas seulement spectateurs mais aussi acteurs : ils vont crier, hurler, insulter, taper, jeter des objets, rire, applaudir, chanter. Ce second groupe participe intégralement à la violence : il ouvre le cortège, il va au pied au domicile pour crier et demander que l'on montre à la fenêtre la femme qui est tondue. Dans ce groupe actif, on retrouve là toutes les catégories de la population : des hommes, des femmes, des enfants, des adultes, des personnes âgées. On le voit également au travers de la manière dont les gens sont vêtus : les différentes catégories sociales sont bien représentées.


Participer à cette violence, c'est une manière de se réapproprier la ville qui a été occupée pendant 2 ou 5 ans selon les régions. C'est une manière également de se réapproprier l'histoire  : on n'a subi la défaite, l'occupation, le couvre-feu. Et tout d'un coup on peut arrêter de subir et devenir acteur : en chantant la Marseillaise devant le monument aux Morts par exemple mais aussi en participant à ces violences.


Enfin, le troisième cercle est composé de spectateurs qui vont rester sur les trottoirs, ils n'accompagnent pas le défilé, ou bien ceux qui sont à leurs fenêtres. Sur certaines images filmées, on voit un certain nombre de personnes faire demi-tour et s'en aller.


Ces trois cercles montrent bien les différents degrés de participation.


Le consensus autour du déroulement de ces violences, pendant quelques brefs jours de 1944, est quasi-total. Les premières voix hostiles à ces violences s'exprimeront dès septembre. Prenons le cas du résistant Rol-Tanguy, chef militaire à Paris : il donne son premier ordre d'interdiction de ces violences le 28 août alors que la Libération a commencé le 19 et que le défilé du Général de Gaulle s'est déroulé le 26 août. Les tontes auront duré toute la semaine. Et ceci d'autant plus que l'ordre d'interdiction ne sera publié que le 4 septembre.


Prenons aussi le cas de Rodez dont la Libération se passe dans des conditions terribles puisque le 19 août 1944 les Allemands évacuent la ville et exécutent les prisonniers politiques avant leur départ. Les résistants prennent possession de la ville et découvrent le charnier contenant le corps des exécutés. L'atmosphère comme dans d'autres villes est à la fois joyeuse et triste – on chante – on danse -on pleure – et les femmes sont tondues. On constate alors aucune réaction hostile à ces tontes. Un mois plus tard, deux femmes sont à nouveau tondues mais cette fois-ci, on assiste à une levée de bouclier : le Comité de Libération, l'organisation des femmes de France, les FTP. Tout le monde proteste contre cette pratique indigne de la Libération. Or ce sont les mêmes personnes qui, un mois auparavant, étaient restées silencieuses devant ces pratiques. Cela démontre la rapidité avec laquelle les mentalités ont changé : il y eut un moment où ces pratiques étaient acceptables et un moment où elles l'étaient plus.


Un dernier exemple pour illustrer qui prend la décision et pour bien montrer qu'il ne s'agit pas des « résistants de septembre » : prenons le cas du Languedoc.


Partout en France, les décisions de procéder aux tontes sont prises localement. Et les femmes qui vont être tondues, pour une grande partie d'entre elles, savent très bien qu'elles vont être tondues et très souvent par qui. Sur les rapports de gendarmerie rédigés à la suite de plaintes déposées par certaines femmes tondues, on apprend qu'il s'agit de gens qui se connaissent entre eux. Il s'agit d'une épuration de proximité : on ne supporte pas ceux qui, au sein de l'univers le plus proche, sont considérés comme des traîtres. Le Languedoc est la seule région où le 28 août 1944 à Montpellier, est organisée une réunion regroupant toutes les autorités de l'époque à savoir le président des comités locaux de Libération de département de l'Hérault et des départements limitrophes, le Commissaire de la République nommé par Alger et qui est l'autorité suprême au sein d'une région-il dispose même du droit de grâce-, tous les groupes politiques et militaires sur place (l'Organisation civile et militaire, l'armée secrète, le parti communiste..), les représentants syndicaux, les représentants de la police et de la gendarmerie.


Rappelons que le gouvernement de la France libre à Alger avait en effet imaginé que le cloisonnement de la France n'allait pas permettre des communications faciles et qu'il fallait au moins à l'échelle d'une région disposer d'une autorité incontestée.


Au cours de cette réunion du 28 août, il est décidé que toutes les femmes ayant collaboré, seraient internées et tondues. Un châtiment administratif est donc décidé à l'échelle d'une région entière.


Ailleurs, les décisions sont prises à l'échelle locale, rarement au niveau d'un département mais à l'échelle des villes.


Pourtant alors, qu'aucun ordre n'a été donné à l'échelon national pour appliquer ce châtiment on constate partout le même type de violence envers les femmes. Les tontes vont de soi et se pratiquent à grande échelle.




Pourquoi un tel châtiment ?


Il y a d'abord ce besoin d'agir, et comme l'on est dans un contexte de guerre, cela passe par l'exercice d'une violence, mais une violence intermédiaire, il ne s'agit pas de mettre à mort. Cette violence se situe à mi-chemin entre une violence pratiquée par ceux qui ont une expérience de la mise à mort et de la mise en danger de leur propre vie dans le combat — c'est le cas des maquisards et des résistants — et la grande majorité de la population qui jusqu'à présent n'a pas exercé de violence mais qui, en procédant à des tontes, va tenter de se rapprocher symboliquement du premier groupe. Il y a là un véritable enjeu politique. Dans le cadre de la surveillance de correspondance par Vichy (appelé le contrôle technique), les enquêtes d'opinion pratiquées en juin et juillet 1944 montrent en effet que dès l'été 1941, la grande majorité de l'opinion se détache du gouvernement sans pour autant adhérer à la résistance. La population demeure inquiète car la propagande allemande et collaborationniste ne cesse de répéter que les résistants sont des bandits, des terroristes. C'est donc un enjeu important pour la résistance que de démontrer vis-à-vis de la population qu'elle est légitime. Le fait d'infliger cette violence intermédiaire qui peut être exercée par de « bons pères de famille » — il ne s'agit pas de viols- et se projette dans l'avenir. L'épuration est pensée comme un préalable indispensable à la renaissance du pays.


L'autre explication est d'ordre anthropologique et fait référence au langage du corps.


La chevelure féminine renvoie à la sexualité, et dans certains cas à une sexualité considérée comme déviante, à l'adultère et au châtiment de l'adultère. Ce type de châtiment se retrouve dans de nombreuses sociétés et à des époques extrêmement variées. C'est le cas notamment des sociétés polynésiennes, dans certaines populations amérindiennes comme dans l'occident chrétien. D'où l'association que ces femmes tondues ne peuvent l'être que parce que précisément elles ont eu une relation sexuelle avec l'occupant. Ce langage du corps est parfaitement compris et ce n'est pas un phénomène uniquement français. Cette pratique a lieu dans tous les tous pays européens dans le courant du second quart du XXe siècle.


Le premier cas recensé se situe à la fin de la Première Guerre mondiale, en Belgique.


Au moment du retrait de l'armée française de Rhénanie dans l'entre-deux-guerres dans le courant des années vingt, des femmes allemandes sont tondues pour avoir manifesté des sentiments francophiles. Pendant la guerre d'Espagne, les femmes républicaines sont tondues par les franquistes. Sous le troisième Reich, les nazis, avant la prise du pouvoir par Hitler, tondent les militantes de gauche. Puis, par la suite, seront tondues les femmes accusées de crime contre la race c'est-à-dire celles qui ont des relations sexuelles avec des juifs, des prisonniers de guerre.


Rappelons que le sort réservé aux prisonniers de guerre reconnus coupables de relations avec des femmes « aryennes » variait selon la nationalité : pour un polonais ou un russe c'était la peine de mort. Pour un Français ou un Belge par exemple, la condamnation était de 2 ou 3 ans de pénitencier.


Au moment de la Libération, la tonte des femmes est pratiquée dans toute l'Europe : en Italie, en Tchécoslovaquie, au Danemark, en Norvège, en Yougoslavie, en Pologne, dans les îles anglo-normandes. Enfin, à la fin de guerre civile grecque, des femmes réputées « rouges » sont tondues par les forces nationalistes.


Pourquoi une même forme de violence, uniquement dirigée à l'encontre des femmes, se répand de façon aussi extensive et ceci pendant une période assez courte du XXe siècle.


Cette forme de violence doit être interprétée comme un moment de « réajustement » des modifications des relations intervenues entre hommes et femmes au cours du XXe siècle.


Dans ces pays-là, c'est le moment où les femmes acquièrent le droit de vote : en 1917 pour la Russie, 1918 pour l'Allemagne, 1944-1946 pour l'Italie et la France. Au cours de cette période, les femmes acquièrent non seulement un accès aux droits politiques mais aussi au travail salarié. Face à cette modification des rapports homme-femme, la tonte peut être interprétée comme une réaction violente de la part des hommes inquiets d'une remise en cause de leur domination. Ce phénomène étant accentué en France par l'humiliation de la défaite éclair de 1940 qui est aussi une défaite des hommes français. Ces Français, mâles, dont il est dit depuis la Révolution française que c'est au prix du sang qu'ils sont des citoyens. Leur devoir d'homme français c'est d'éviter qu' Ils viennent jusque dans vos bras, Égorger vos fils, vos compagnes ! .


Il appartient donc aux hommes de défendre les femmes, les enfants et le sol du pays contre l'ennemi. Et précisément en 1940, la défaite n'est pas seulement militaire. C'est un gigantesque traumatisme : ce pays qui se pense la plus grande puissance au monde se fait balayer en 1 mois. Sur tous les murs des villes en 1939, on peut apercevoir une affiche qui proclame Nous vaincrons car nous sommes les plus forts . Imaginez un peuple qui se croit le plus fort et dont l'armée est laminée en quelques semaines, avec 8 millions de personnes sur les routes. La défaite c'est aussi une défaite du masculin alors la Libération est perçue comme un moyen de reconstruire une fierté masculine autour du personnage du maquisard qui incarne le nouveau vainqueur national et non pas autour du prisonnier de guerre qui est le représentant d'une armée vaincue.


Cette violence faite aux femmes est, pour les hommes, une manière de leur dire : certes vous avez désormais des droits politiques mais votre corps reste notre propriété. La question du corps de la femme ne sera abordé que dans les années soixante avec les débats autour du divorce, de l'avortement et de la contraception.


Indication bibliographique :



  • La France "virile" : Des femmes tondues à la Libération , Paris, Éditions Payot et Rivages, 2000, 392 p.

  • Naître ennemi. Les enfants nés de couples franco-allemands pendant la Seconde Guerre mondiale , Paris, Payot, 2009.

  • avec François Rouquet et Danièle Voldman (dir.), Amours, guerres et sexualité 1914-1945 , Paris, Gallimard, 2007.


Liens :


http://irice.cnrs.fr/spip.php?article21


Adresse :


Fabrice VIRGILI


chargé de recherche au CNRS


UMR 8138 IRICE


Université de Paris 1 Panthéon -Sorbonne


1, rue Victor Cousin


75231 Paris Cedex 05








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