La protection de la dignité des personnes privées de liberté par Marianne Moline

Date 20/9/2009 18:49:29 | Sujet : La détention en France

La protection de la dignité des personnes privées de liberté

Par Marianne Moliner-Dubost

Maître de conférences de Droit public à l'Université Jean Moulin-Lyon 3
Ce texte fait suite à la conférence de Marianne Moliner-Dubost du Jeudi 10 septembre 2009 à la Maison fraternelle à l'initiative de l'ACAT Paris V en association avec l'ERF Quartier Latin-Port Royal.

L'ACAT Paris V remercie vivement Madame Marianne Moliner-Dubost pour la qualité de son intervention.

Résumé

Le nécessaire respect de la dignité humaine exige davantage que l'abstention de porter atteinte à l'intégrité (physique et mentale) et d'humilier la personne privée de liberté ; il requiert aussi d'assurer des conditions de détention matériellement décentes.
Les juridictions françaises commencent à se saisir de cette problématique ainsi qu'en témoigne la récente condamnation de l'administration pénitentiaire du fait de l'encellulement dans des conditions contraires à la dignité humaine (manque d'hygiène, insalubrité, promiscuité, absence d'intimité) à la maison d'arrêt de Rouen.
Par ailleurs, les modalités d’exécution de la mesure ne doivent pas soumettre le détenu à "une détresse ou une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention". Il en résulte que les autorités doivent tenir compte de la vulnérabilité personnelle de l'intéressé, liée à son âge, à un handicap ou encore à une pathologie physique ou psychiatrique. Sur ce point également, les nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme montrent qu'il reste beaucoup à faire...
La protection de la dignité des personnes privées de liberté

(gardées à vue, prévenues ou condamnées)

Je voudrais, en guise d'introduction, souligner l'actualité douloureusement récurrente de la question de la condition des personnes privées de liberté. Ces toutes dernières semaines, on aura relevé l'intervention de M. Alliot-Marie sur la prévention du suicide en prison, la condamnation par la CEDH du régime des DPS, la remise du rapport de la Commission Léger le 1er septembre, sur la réforme de la procédure pénale, qui contient quelques dispositions intéressantes du point de vue de notre propos (on pourra y revenir).

Quelques mois plus tôt, étaient intervenus le premier rapport d'activité du CGLPL (rendu le 8 avril 2009) et l'adoption en première lecture du rojet de loi (PL) pénitentiaire au Sénat (qui vient actuellement à l'Assemblée Nantionale). Signalons aussi les deux rapports très sévères du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Thomas Hammaberg) le 20 novembre 2008 à propos des conditions de détention et de rétention des personnes.

Et l'on trouverait, en remontant dans le temps, bien d'autres témoignages de l'acuité du pb de la préservation de la dignité des reclus : États généraux de la condition pénitentiaire, organisés par l’Observatoire international des prisons en octobre 2006, sans oublier les incontournables rapports des commissions d'enquête constituées à l'Assemblée nationale(rapport Le Floch) et au Sénat (rapport Cabanel) sur la situation des prisons françaises (en 2000) qualifiée d'humiliation pour la République...
Pourtant, la personne privée de sa liberté conserve le bénéfice de ses droits : il n'y a pas deux qualités de normes selon qu'une personne est libre ou privée de liberté, parce que gardée à vue, prévenue (placée en détention provisoire) ou condamnée. La "catégorie" des personnes privées de liberté est toutefois bien plus vaste : on pourrait aussi évoquer les personnes placées en cellule de dégrisement ou en rétention administrative. Bref, quelle que soit la raison pour laquelle elles sont enfermées, toutes ces personnes ont droit, comme toute personne humaine, au respect de leur dignité.

C'est à travers le Droit précisément que l'on va traiter de ce véritable sujet de société qu'est la protection de la dignité des personnes privées de liberté et j'en profite pour remercier l'ACAT, en la personne de M. Jean-Marc Peyron, de m'avoir invitée et permis d'être avec vous ce soir pour en parler.

Pourquoi aborder ce sujet sous l'angle du Droit ? Premièrement parce que la dignité est un droit, sinon même le premier de tous les droits de l'homme. Ensuite, parce que le droit est le remède, l'arme qui permet de protéger les droits des reclus : les textes (traités internationaux, lois, décrets, circulaires...) encadrent, réglementent la manière de traiter ces personnes. Les institutions qui sont mises en place par les textes vérifient le respect de ces dispositions et en dénoncent les violations : on peut citer à cet égard le CGLPL, la CNDS ou encore le comité européen pour la prévention de la torture. Enfin, les juges condamnent les violations des prescriptions prévues par les textes, sans omettre le retentissement de leurs décisions qui peut avoir un effet préventif. On évoquera ici principalement le rôle de la Cour européenne des droits de l'homme mais également celui des juridictions administratives (et spécialement de la 1e d'entre elles, cad le CE) dont la JP a bcp évolué dans le sens d'une plus grande garantie des droits des personnes privées de liberté.
Bref, le droit est ici incontournable ...
* * *



Concrètement, la dignité s’oppose à tout ce qui peut dégrader la personne humaine et l'humilier, à la réduire à l'état de chose (à la réifier), à nier son appartenance à l'humanité. C'est la raison pour laquelle la dignité est la notion centrale des droits de l'homme.

La dignité fonde notamment l'interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette prohibition est d'ailleurs expressément formulée dans la DUDH (art. 5) dans la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 7) ainsi si que last but not least l, dans la Convention européenne des droits de l'homme (art. 3).

Peu de textes protègent expressément la dignité des personnes privées de liberté. En droit français, le CPP impose au service public pénitentiaire d'assurer le respect de la dignité inhérente à la personne humaine (art. D. 189). Le PL pénitentiaire évoqué tout à l'heure rappelle que "la personne détenue a droit au respect de sa dignité" (art. 10). Au plan international, le PIDCP dispose que "Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine".

Curieusement, la Convention EDH qui est pourtant à la base d'une jurisprudence pléthorique sur la protection de la dignité des détenus, ne contient formellement qu'une seule disposition sur la privation de liberté, à savoir l'article 5 prohibant la détention arbitraire. C'est essentiellement sur le fondement de l'article 3 de la convention que la Cour de Strasbourg a bâti la protection de la dignité des personnes privées de liberté. Essentiellement mais pas exclusivement, car l'article 2 qui protège le droit à la vie est et l'article 8 relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, ont également été sollicités pour protéger l'intégrité physique et morale des personnes privées de liberté. Il reste que c'est au visa de l'article 3, que la Cour a consacré le droit à des conditions de détention conformes à la dignité humaine.

L’article 3 de la Convention prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, ce qui signifie que cette interdiction ne souffre aucune dérogation, quels que soient les agissements de la victime, la nature de l'infraction reprochée, les circonstances, même les plus difficiles, lutte contre le terrorisme et le crime organisé, danger public menaçant la vie de la nation.

Pour tomber sous le coup de l’article 3, la peine ou le traitement doit atteindre un minimum de gravité, appréciée notamment en fonction de sa durée et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime. Une fois dépassé le seuil minimum requis, il y a une gradation dans la gravité des traitements qui seront qualifiés soit de torture, soit de traitement inhumain soit de traitement dégradant.

La notion de torture suppose une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales outre la gravité des traitements infligées intentionnellement. Un traitement est inhumain, s'il provoque, avec préméditation sinon de véritables lésions du moins de vives souffrances physiques et morales. Il est dégradant s'il a pour objet ou pour effet de créer chez les victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. Dans tous les cas, la souffrance ou l'humiliation doivent aller au-delà de ce qui résulte inévitablement de la privation de liberté ou d'un traitement légitime.

Notre objectif général sera de préciser, à l'aide d'exemples concrets, quand ces seuils sont franchis, et donc quand il y a atteinte à la dignité des personnes privées de liberté et déterminer quels sont les garde-fous proposés pour les prévenir. Pour ce faire, on distinguera deux grandes catégories de situations : celles où l'atteinte à la dignité résulte de la méconnaissance d'une obligation d'abstention (= obligation négative), et plus précisément de l'obligation des autorités de ne pas recourir à la violence ou à des mesures coercitives de manière arbitraire ou inappropriée (I). La seconde catégorie de situations concerne les atteintes à la dignité qui résultent de la méconnaissance d'une obligation d'agir dans un sens déterminé (= obligation positive), et spécialement de l'obligation qu'ont les autorités de traiter le détenu avec dignité, de protéger son intégrité et même d'assurer son bien-être (II)



I/ A/En ce qui concerne tout d'abord le recours à la violence à l'encontre d'une personne privée de liberté

Il faut savoir que l'usage de la force physique à l'égard d'une personne privée de liberté (et donc particulièrement vulnérable puisque entièrement livrée aux mains des autorités) n'est légitime que s'il est rendu nécessaire par le comportement de celle-ci. Par ailleurs, le recours à la force, lorsqu'il est justifié, ne doit être disproportionné (la force employée ne doit pas être excessive) par rapport au comportement qui l'a motivé. Dans le cas contraire, il y a mauvais traitement dont la qualification dépend de son degré de gravité.

Il peut ainsi s'agir de torture ainsi, à propos de violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires, avec coups multiples. Le gardé à vue a de plus été tiré par les cheveux, contraint de courir dans un couloir le long duquel des policiers se plaçaient pour le faire trébucher, menacé avec un chalumeau puis avec une seringue et il s'est fait uriné dessus par un policier.

La qualification de traitement inhumain et dégradant : ainsi à propos d'un violent coup porté dans les parties génitales d'un gardé à vue par un policier qui s'était, prétendument, senti menacé. La Cour n'a pas admis cet argument en observant que la victime n'était pas connue des services de police pour des actes de violence, était de moindre corpulence que le policier et avait encore les mensurations d'un adolescent et enfin qu'elle n'était pas armée. Par surcroît, le policier auteur du coup était connu pour des actes de violence, même si les plaintes à son égard ont été classées sans suite (CEDH, 1er avr. 2004, Rivas c/ France).

On le voit bien, la garde à vue comporte des risques d'abus. C'est plus généralement une mesure ambiguë puisque devant concilier les droits du gardé à vue et la nécessité de faire avancer l'enquête et si possible de permettre la manifestation de la vérité.

Pour renforcer la protection des gardés à vue, la Cour européenne impose aux Etats membres de mener une enquête officielle effective lorsqu'un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d'autres services de l'Etat, des mauvais traitements. Quelle que soit l'issue de la procédure engagée au plan interne, c'est-à-dire même en cas d'acquittement des personnes mises en cause par les victimes de mauvais traitements, il appartient à l'Etat de fournir une explication plausible lorsque le gardé à vue, arrivé en bonne santé, en ressort blessé ou, a fortiori, s'il décède des suites de ses blessures. Faute d'une telle explication, l'Etat est regardé comme ayant manqué à son obligation, au regard de l’article 3, de protéger toute personne en situation de vulnérabilité et détenue aux mains des fonctionnaires de police ou de l’établissement carcéral.

B/ En ce qui concerne maintenant l'utilisation de mesures de contrainte et de contrôle

Précisons tout d'abord que par là, on vise l'ensemble des mesures de sécurité pouvant être imposées à une personne privée de liberté : fouilles corporelles, menottage, entrave, ainsi que pour les personnes incarcérées, mise à l'isolement et rotations de sécurité. Par suite, on peut également y inclure le classement DPS. Je précise que le classement DPS consiste à soumettre un détenu, condamné ou prévenu, à un régime de surveillance renforcée comportant un ensemble de mesures de contrôle, à raison soit du risque d'évasion, du caractère violent de l'intéressé ou de son appartenance à la criminalité organisée.
Le recours à ce type de mesures doit toujours être justifié par un impératif convaincant de sécurité, de défense de l'ordre ou de prévention des infractions pénales : cette exigence est commune aux juges européens et au CE.
Ainsi, la Cour de Strasbourg a condamné la France dans l'affaireFrérot, , parce qu'il n'était démontré que les fouilles intégrales qu'il a subi ont reposé sur « des soupçons concrets et sérieux que le requérant dissimulait dans son anatomie des objets ou substances prohibés ». Il n'était pas non plus allégué qu'un changement de comportement du requérant l'avait rendu particulièrement suspect à cet égard. Au contraire, c'était une pratique, une politique qui voulait qu'à Fresnes, une telle fouille soit systématiquement pratiquée sur tout prisonnier sortant du parloir. La Cour a abouti au même constat dans l'affaire Khider c/ France dans lequel elle relève que les fouilles corporelles systématiques n'étaient motivées que par le classement DPS et d'autant moins justifiées qu'elles s'ajoutaient à d'autres mesures de sécurité (transfèrements et isolement).
Le Conseil d'Etat a épousé le raisonnement du juge européen et imposé à l'administration de justifier de la nécessité de ces opérations et de la proportionnalité des modalités retenues (CE, 14 nov. 2008, M. Mahmoud El Shennawy).

S'agissant du recours aux menottes et a fortiori aux entraves l s'agit, comme le rappelle le CPP d'une mesure exceptionnelle, le principe étant que « nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves » (art. 803). Ce principe connaît néanmoins deux catégories d'exceptions qui concernent :
- "l'individu dangereux pour autrui ou pour lui-même ou susceptible de tenter de prendre la fuite" ;
- « en cas de fureur ou de violence grave » (CPP, art. 726, lorsqu’il « n'est d'autre possibilité de maîtriser un détenu, de l'empêcher de causer des dommages ou de porter atteinte à lui-même ou à autrui » (CPP, art. D. 283-3).

La Cour européenne légitime ainsi le menottage d'un détenu excité et agressif, condamné pour meurtre, tentative de meurtre et viol et ayant déjà commis deux tentatives de suicide (Gennadi Naoumenko c. Ukraine).

- soit enfin, par précaution, pour limiter le risque d’évasion pendant son transfèrement ou son extraction (art. D. 283-4 et D. 294).



Pour apprécier ce risque, il est tenu compte:
- de toutes les informations connues sur l'intéressé
- de la longueur et la nature de la peine encourue ou subie,
- de régime de détention (cf. DPS),
- de l'importance du reliquat de peine,
- de l'existence d'incidents disciplinaires récents et leur degré de gravité,
- de la présence d'antécédents révélant une personnalité dangereuse.

L'utilisation des menottes et entraves peut s'avérer particulièrement critique du point de vue de la dignité à l'occasion des extractions médicales, d'autant qu'il pourra y être recouru, non seulement pendant le transport mais également, si nécessaire (toujours en utilisant les mêmes critères), pendant la consultation et les soins médicaux sauf pour les femmes détenues enceintes, qui « ne doivent en aucun cas être menottées pendant l'accouchement » y compris durant la période de travail. Les détenus dont la personnalité fait apparaître des risques sérieux d'évasion ou de trouble à l'ordre public, pourront être menottés dans le dos, entravés et maintenus sous escorte tant pendant le trajet que la consultation médicale et les soins.

La France a été condamnée pour usage abusif des menottes et entraves lors de soins en milieu hospitalier. Dans une première affaire, les menottes avaient été posées sur un détenu durant une séance de chimiothérapie, alors même que l'intéressé, atteint d’une leucémie en phase terminale, était très affaibli physiquement et qu'aucun antécédent ne faisait sérieusement craindre un risque important de fuite ou de violence. Dans une seconde affaire, un détenu très âgé avait été attaché à son lit d'hôpital (une chaîne reliait une des chevilles au barreaux du lit), la veille d’une intervention chirurgicale, alors qu'il n'avait aucun antécédent et qu'au surplus deux policiers étaient en faction devant sa chambre.

La Russie a été récemment condamnée par la Cour européenne pour traitement inhumain dans des circonstances assez proches puisque le détenu avait été menotté à son lit d'hôpital le lendemain d'une intervention chirurgicale complexe alors d'une part, qu'il portait un goutte-à-goutte et ne pouvait se lever seul et d'autre part, qu'un officier armé d'une mitraillette se tenait dans sa chambre et que deux gardes étaient postés à l'extérieur.

En ce qui concerne la mise à l'isolement, le juge européen considère qu'en soi, cette mesure ne viole pas, nonobstant sa sévérité, l’article 3, dès lors que l'isolement n'est pas absolu (i.e. sensoriel et social), qu'il est justifiée et proportionné compte tenu par ex.
- des liens étroits qu'entretient le détenu avec le milieu mafieux
- du risque d’évasion du détenu et de récidive d’infractions violentes graves (meurtre, homicide involontaire, coups et blessures graves, viol et infractions à la législation sur les stupéfiants)
- de la personnalité et la dangerosité hors normes du détenu (Ramirez Sanchez c/ France).

La Cour a cependant précisé dans l'arrêt Khider c/ France que la décision de mise à l'isolement ou de sa prolongation ne peut pas être motivée par "la seule référence à l'appartenance au grand banditisme, ou à un risque d'évasion, non étayé", ni par le classement d'un détenu au registre des détenus particulièrement signalés (du fait de sa participation en 2001 à une tentative d'évasion de son frère Christophe), d'autant que le requérant "faisait déjà l'objet de mesures de transferts réitérés". Et ce alors que ces mesures avaient été ordonnées malgré des diagnostics médicaux défavorables tant sur le plan physique que psychiatrique, en lien avec la mise à l'isolement.



Il y a là un deuxième élément qui entre en ligne de compte, à savoir les effets de la mesure sur le détenu. Le juge, tant européen que français, examine au cas par cas les conséquences du maintien à l’isolement sur le détenu. Ainsi s'explique le fait que la Cour de Strasbourg ait validé un isolement de plus de 8 ans dans l’arrêt
Ramirez Sanchez et condamné un isolement de 7 mois dans l’arrêt Mathew c/ Pays-Bas (CEDH, 29 sept. 2005).

On évoquera pour finir les otations de sécurité. Il s'agit d'un régime de détention caractérisé par des changements d’affectation fréquents destinés à perturber les auteurs de tentatives d’évasions et leurs complices dans la préparation et la réalisation de leurs projets.

Comme toutes les autres mesures sécuritaires, elles sont soumises à l'exigence de nécessité et de proportionnalité. Ainsi, dans l'affaire Khider c/ France, constatant que le requérant a fait l'objet, en sept ans, de quatorze transfèrements, elle indique que "la tentative avortée d'évasion à laquelle avait participé le requérant en mai 2001 ne saurait justifier, à elle seule, la soumission indéfinie à un régime strict de rotation de sécurité". Elle note par ailleurs que "depuis 2004, le requérant n'a jamais fait l'objet de poursuites disciplinaires par l'autorité pénitentiaire pour un éventuel comportement agressif envers un membre du personnel". Elle en conclut que "les quatorze transfèrements du requérant sur sept années de détention n'apparaissaient plus au fil du temps justifiés par de tels impératifs".

Le fait qu'une mesure soit nécessaire, justifiée n'implique pas forcément que la dignité de celui qui y est soumis est préservée ; encore faut-il que dans la manière dont la mesure est conduite ou appliquée, elle ne comporte pas un degré de souffrance ou d'humiliation dépassant celui que comporte inévitablement ladite mesure.

On songera en premier lieu aux fouilles corporelles intégrales, particulièrement humiliantes, notamment parce qu'elles contraignent à se déshabiller en présence d’agents, à prendre des postures embarrassantes et à se soumettre à des inspections visuelles de diverses parties de son anatomie... Ca c'est le degré, dirons-nous, inévitable d'humiliation, celui qui est inhérent à ce type de mesure. Mais cette mesure peut devenir un traitement dégradant lorsqu'elle est conduite de façon à avilir celui qui la subit : il en est ainsi, par exemple, lorsqu'un prévenu est contraint de se dévêtir devant pas moins de 4 gardiens, qui le ridiculisent et l'insultent (Iwańczuk c. Pologne) ou encore lorsqu'un détenu a du se dénuder devant une surveillante, s’accroupir et subir une inspection intime par des gardiens ne portant pas de gants (Valasinas c. Lituanie).

Pour préserver autant que faire se peut la dignité du détenu qui subit la fouille, le droit français prévoit que l'intéressé ne pourra être fouillé que par un seul agent de son sexe, qui ne peut avoir de contact avec lui (à l'exclusion de la chevelure), dans un local réservé à cet usage, sauf si la disposition des lieux ne le permet pas et « hors la vue des autres détenus ainsi que de toute personne étrangère à l'opération elle-même » (Circ. 14 mars 1986). Le Conseil d’Etat a estimé que ces mesures préservent la dignité du détenu (CE, 8 déc. 2000, M. Frérot) ce qu'a confirmé la Cour européenne des droits de l'homme(CEDH, 12 juin 2007, Frérot c. France).




Le PL pénitentiaire prévoit de limiter les fouilles intégrales aux cas où les palpation de sécurité ou les moyens de détection électronique sont insuffisants (art. 24) et encore seulement lorsqu'elles sont justifiées par la présomption d'une infraction ou par les risques que le comportement des détenus fait courir à la sécurité des personnes et au maintien de l'ordre dans l'établissement.

En ce qui concerne le port des menottes, l'atteinte à la dignité résulte de l’exposition de la personne menottée aux yeux d’autrui, a fortiori lorsque le nombre de voyeurs est important ou que parmi le public, se trouvent les collègues de travail et la famille de l'intéressé. Le droit français prescrit à cet égard d'éviter, lorsque cela est compatible avec les exigences de sécurité, qu'une personne menottée ou entravée soit photographiée ou filmée (CPP, art. 803).

es conditions de transfèrement peuvent également porter atteinte à la dignité d'une personne privée de liberté : il en est ainsi lorsque par manque de place dans le fourgon cellulaire, deux détenus sont placés dans un compartiment individuel, l'un s'asseyant sur le banc et l'autre sur les genoux du premier. La Cour a même qualifié de traitement nhumain les treize transports qu'a dû subir un prévenu entre la prison et le tribunal, durant à chaque fois six heures, dans un fourgon bondé, mal chauffé et devenant même glacial lorsque le moteur était arrêté, mal ventilé, sans lumière naturelle car ne disposant pas de vitres alors au surplus qu'aucune nourriture ne lui était donnée les jours de transfèrement.

II/ Le respect de la dignité de la personne privée de liberté implique, ainsi qu'on la vu, que les autorités s'abstiennent d'infliger des mesures arbitraires ou qui excèdent la souffrance ou l’humiliation inhérentes à celles que comporte inévitablement une mesure ou une peine légitimes (obligations négatives).
Le respect de la dignité de la personne privée de liberté implique aussi, et c'est plus constructif, des obligations positives. Spécialement, la Cour de Strasbourg a déduit de la Convention européenne une obligation d'assurer non seulement la santé mais aussi le bien-être de la personne détenue, et plus largement des "conditions de détention conformes à la dignité humaine" (Kudla c/ Pologne).
De manière nettement moins exigeante, le PL pénitentiaire impose à l'administration d'assurer aux détenus une protection effective de leur intégrité physique. En effet, les Etats sont d'ores et déjà tenus, en vertu de la Convention européenne (art. 2 et 3) de prendre des mesures préventives pour protéger les personnes contre le fait d’autrui ou, le cas échéant, contre elles-mêmes.

Les Etats sont ainsi tenus deprévenir les risques d'agression du détenu par ses codétenus. Il y a ainsi violation de l'article 3, lorsqu'un prévenu, atteint « psychopathie paranoïde » et qui a du être transféré à plusieurs reprises parce qu'il entrait en conflit avec ses codétenus, est finalement enfermé (sciemment ?) avec des détenus réputés dangereux, qui l'ont tabassé. Or, non seulement le gardien n'a pas fait cesser ces violences mais la victime a été laissée dans la même cellule, immobilisée de surcroît. On imagine sans peine la terreur qu'elle a dû ressentir d'être ainsi livrée à ses agresseurs (CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie).

En droit français, l'agression d'un détenu par son ou ses codétenus peut engager la responsabilité de l'AP pour faute. Tout récemment (en juillet dernier), le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à verser des DI à un détenu qui avait été violé par son codétenu, lequel avait été incarcéré quelques semaines plus tôt pour le viol d'un autre homme.


En décembre 2008, le Conseil d'Etat a également retenu la responsabilité de l'Etat à la suite de l'intoxication mortelle d'un détenu consécutive à l'incendie d'un matelas enflammé par son compagnon de cellule (CE, 17 déc. 2008, Zaouiya) . Il faut préciser que le détenu avait mis le feu au matelas durant la nuit après avoir menacé les gardiens de le faire s'il n'était pas transféré. Ce qu'il ignorait c'est que la nuit les gardiens n'ont pas les clés et qu'ils n'ont pu secourir à temps les malheureux reclus. Suite à cette horrible affaire, l'OIP a demandé au Ministre de la justice d'imposer à tous les établissements d'utiliser un nouveau matériel de literie ininflammables ou moins toxique. Le ministre a refusé et le CE a jugé que ce refus n’était pas contraire à l’article 2 CEDH (CE, Sect. 17 déc. 2008, OIP). L'affaire a toutefois indirectement connu des suites plus favorables quoi qu'à un tout autre niveau, le PL pénitentiaire prévoit d'instituer une responsabilité sans faute en cas de décès d'un détenu provoqué par l'agression d'un autre détenu = régime favorable aux ayant droits de la victime qui pourront obtenir réparation sans avoir à prouver une faute de l'AP, il suffira d'établir que le décès a résulté de manière directe et certaine de l'agression. Mais ce n'est pas de la prévention...

L'Etat a également l'obligation de prendre des mesures préventives pour protéger la vie du détenu suicidaire (CEDH, 16 oct. 2008, Renolde c/ France). La Cour a ainsi pu condamner le RU et la France à la fois sur le terrain de l'article 3 (protège le droit à la dignité) et de l'article 2 (protège le droit à la vie), pour le suicide d'un détenu ayant déjà fait des TS (Keenan, Renolde). Dans les deux cas, le détenu était atteint d'un trouble mental et avait été soumis à un isolement disciplinaire, qui a aggravé son trouble et provoqué le passage à l'acte. Il y a violation de l'article 2 parce que des mesures préventives n'avaient pas été prises pour éviter le suicide et de l'article 3 parce qu'une telle punition n'était pas appropriée compte tenu de la pathologie du détenu (on reviendra tout à l'heure sur l'obligation de prendre en compte les états de vulnérabilité particuliers).


Par ailleurs, en droit français, le suicide d'un détenu peut aussi engager la responsabilité de l'Etat à raison d'une faute simple de l'AP. Ainsi, jugé à propos du suicide d'un détenu mineur, la ronde de surveillance normalement prévue au moment auquel le suicide a été commis n'ayant pas été effectuée (CE, 9 juill. 2007, Johny Delorme).

Or, il faut savoir qu'en France, le taux de suicide est dix fois supérieur en prison que dans l'ensemble de la population. Le taux de suicide des prévenus est deux fois supérieur à celui des condamnés. Les suicides interviennent dans 90 % des cas dans les trois premiers mois de détention. Ils ont lieu par pendaison dans la presque totalité des cas (96 %). C'est ce qui explique que parmi les mesures présentées par Mme Alliot-Marie le 18 août dernier pour prévenir le suicide en prison figure la remise aux détenus de vêtements et draps déchirables ne pouvant être transformés en liens.

L'obligation de protéger la vie du détenu, le cas échéant contre lui-même, connaît toutefois une limite : il n'est pas possible, sauf risque létal avéré, de traiter un détenu contre sa volonté. Le consentement se rattache en effet au principe de l’inviolabilité du corps humain, qui confère à tout individu le droit à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à son corps par un tiers. La question s'est posée avec une acuité particulière à propos des détenus observant une grève de la faim, parce qu'il y a conflit entre le droit à l'intégrité physique de l'individu, qui implique celui de ne pas être nourri de force et l'obligation positive de l'Etat de protéger sa vie. En pareille hypothèse, la Cour européenne exige que la nécessité médicale de l'alimentation forcée soit démontrée de manière convaincante. La Cour s'attache également à la manière dont l'intéressé a été alimenté de force. Ce qui l'a conduite à qualifier de torture, l'alimentation forcée, en l'absence de péril létal médicalement constaté, au moyen d'un écarteur buccal et d'un tube en caoutchouc inséré dans l'œsophage du détenu menotté (Nevmerjitski c/ Ukraine).

L'Etat est tenu de protéger l'intégrité physique et mentale des personnes privées de liberté et par suite doit également leur fournir les soins médicaux appropriés à leur état. Le défaut de surveillance et le manque de soins médicaux peuvent constituer un traitement contraire à l’article 3. Tel est le cas lorsqu’une détenue héroïnomane présente, durant son incarcération, les symptômes de sevrage (vomissements répétés entraînant une perte de poids importante - 10 kg en 5 jours) conduisant à une détérioration rapide de son état de santé et finalement à son décès, sans que les autorités carcérales ne s’alarment (pas de surveillance de la prisonnière pendant le week-end), ni ne prennent les mesures appropriées pour soigner l’intéressée (par exemple l’envoyer à l’hôpital)(CEDH, 29 avr. 2003, McGlinchey c/ RU). Par ailleurs, le détenu doit être examiné et traité par des personnes qualifiées. Ainsi, est constitutif d’une grave lacune dans les soins médicaux prodigués à un détenu schizophrène dont on connaissait les tendances suicidaires (et qui s'est effectivement suicidé), le fait que son état ait été apprécié et son traitement défini sans qu’aient consultés des spécialistes en psychiatrie (CEDH, 3 avril 2001, Keenan c/ RU).


Ici aussi, ce qui est au départ un mauvais traitement condamnable au titre de l'article 3 (qu'il soit volontaire ou non : par exemple, négligence, absence de soins ou de surveillance) devient, en cas de décès de la personne qui en est victime, également condamnable au titre de l'article 2 qui protège le droit à la vie. La France a été condamnée de ce chef pour le décès, en cellule de dégrisement, d'un jeune homme séropositif, arrivé blessé, sans qu'un médecin n'ait été appelé pour s’assurer de l’évolution de son état de santé (Taïs c/ France).

Enfin, et ce n'est pas la moindre des gageures, l'Etat est tenu d'assurer aux personnes privées de liberté des conditions de détention conformes à la dignité humaine.

Les conditions souvent déplorables de détention sont bien connues : locaux dégradés, manque d'hygiène voire insalubrité, promiscuité, et pour les prisons, un surpeuplement dramatique (au 1er janvier 2009 : 62 252 détenus pour un peu moins de 52 000 places).

Concernant les locaux de garde à vue le rapport 2008 du CGLPL est à égard édifiant : lieux très généralement mal aérés, chauds l’été et froids l’hiver sans forcément avoir la possibilité de bénéficier d'une couverture (propre a fortiori), sanitaires « à la turque » souvent bouchées, pas de douche utilisable ni de couchage approprié (cellules trop étroites pour s’allonger ; les dimensions du matelas (de mousse) ne coïncident pas toujours avec celles du support), les sièges (de bois ou de ciment) sont insuffisants pour asseoir tous ceux hébergés dans la même cellule... last but not least, l’habitude s’est prise de ne pas nettoyer les cellules occupées. Pourtant le ministre de l’intérieur avait rappelé en 2003 "qu'en attendant une redéfinition des locaux de garde à vue, les cellules doivent être maintenues dans un bon état de propreté par des nettoyages quotidiens, disposer des éléments d’hygiène nécessaires et permettre le repos auquel les personnes gardées à vue peuvent prétendre".



Les personnes placées en détention provisoire (25% de la population carcérale) ne sont pas mieux loties. Ces personnes, présumées innocentes, sont détenues dans des conditions déplorables, la surpopulation touchant principalement les maisons d'arrêt (pas de numerus clausus – l'AP est tenue d'accueillir toutes les personnes qu'on lui envoie).
Tout condamné à une peine supérieure à un an a vocation à être transféré vers un établissement pour peine (CPP, art. 717) : centre de détention ou maison centrale (où la sécurité est renforcée). Une telle affectation est souvent longue à venir car ces établissements connaissent le principe du numerus clausus (bien que non prévu par un texte, il n'y est pas dérogé). Les nouveaux condamnés n'y sont transférés que lorsque des places se sont libérées ; or, elles se libèrent de plus en plus lentement : les peines prononcées sont plus longues, les périodes de sûreté sont plus fréquentes, les grâces collectives ont disparu, les réductions de peines sont réduites voire supprimées pour les récidivistes et les délinquants sexuels ou violents. Ainsi, contrairement à leur vocation, les maisons d’arrêts hébergent, à long - voire à très long - terme, un taux élevé de détenus condamnés, qui plus est, non séparés des prévenus (contrairement aux Règles Pénitentiaires Européennes : point 18.8). Et tout ce monde là s'y entasse au mépris du principe de l’encellulement individuel des prévenus.

Certes, depuis 2008, un prévenu peut demander un encellulement individuel (D. n° 2008-546 10 juin 2008 relatif au régime de détention) et s'il n'y a pas assez de place dans la maison d'arrêt où il se trouve, il peut demander à être transféré dans un autre établissement pour avoir une cellule individuelle (CPP, art. D 53-1). Toutefois, outre que cette demande a peu de chances d'être satisfaite (compte tenu du manque de place généralisé dans les maisons d'arrêt), lorsqu'elle pourra l'être, ce ne sera pas forcément à son avantage, si la maison d'arrêt qui peut l'accueillir se situe à l'autre bout du lieu où réside sa famille... L'article 49 du PL pénitentiaire réaffirme le principe de l'encellulement individuel en limitant les cas de dérogation (demande de l'intéressé, personnalité de l'intéressé, nécessités d'organisation liées à une autorisation de travail ou de formation professionnelle). Mais en pratique on voit mal comment le principe pourra être respecté à court terme en tout cas.



Or de mauvaises conditions de détention sont incompatibles avec le respect de la dignité des détenus. Certains arrêts de la Cour européenne décrivent des conditions de détention dignes de l'enfer de Dante : cellule insalubre, infestée d'insectes et de parasites, constamment allumée et enfumée par les cigarettes de ses codétenus car dépourvue d'aération appropriée, installations sanitaires sales et délabrées, n'offrant aucune intimité, cellule à ce point surpeuplée que les détenus devaient dormir à tour de rôle, car ils étaient 21 (dont certains atteints de maladies contagieuses) dans une cellule conçue pour 8... Or, dans l'affaire Kalashnikov c/ Russie (CEDH, 15 juillet 2002) de laquelle sont tirées les conditions que je viens d'indiquer, le requérant était enfermé dans cette cellule de 22 à 23h par jour, où il disposait d'un espace variant entre 0,9 et 1,9 m2 et ce pendant près de cinq ans. Par surcroît, l'intéressé a contracté durant son séjour plusieurs affections physiques (dystonie, gastroduodénite, mycoses à plusieurs endroits du corps) et psychiques (syndrome asthénique d'origine névrotique). Et pourtant, si la cour condamne évidemment la Russie pour violation de l'article 3, c'est seulement pour traitement dégradant.
Plus récemment, la Cour a durci son appréciation puisqu'elle a qualifié de traitement inhumain, la détention du requérant pendant 7 mois dans une cellule surchargée, où il ne disposait que de 1,9 m², surface dans laquelle il passait, en guise de punition, 23 heures sur 24 et était privé de nourriture (CEDH, 7 juin 2007, Mikadzé c/ Russie). En juillet dernier, la Cour a même jugé que "le manque flagrant d’espace personnel est, en soi, constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant" (16 juillet 2009, Sulejmanovic c. Italie).

Les juridictions françaises commencent à suivre ce mouvement. Le TA de Rouen a ainsi condamné l'Etat pour des conditions de détention contraires à la dignité humaine, en relevant que le requérant avait été incarcéré pendant plus de quatre ans dans différentes cellules d'une superficie de 10 à 12 m2 pour 3 détenus, sans ventilation spécifique du cabinet d'aisance lequel est dépourvu de dispositif d'occlusion de la cuvette et situé à proximité immédiate du lieu de prise des repas (TA Rouen, 27 mars 2008).

Il faut enfin pour terminer ce panorama sur les conditions de détention, évoquer le cas des détenus qui sont plus vulnérables que les autres. Des exemples typiques sont ceux de détenus qui présentent un pronostic fatal à court terme ou qui souffrent d'une affection grave dont le traitement ne peut être conduit correctement dans les conditions de la détention ainsi que ceux qui sont sévèrement handicapés ou très âgés.

Disons-le tout de suite, pour la Cour EDH, l'âge et même le grand âge du détenu (90 ans pour Papon, et 85 ans pour Priebke – ex. capitaine dans la Waffen SS) ne constitue pas, en soi, un obstacle à sa détention (CEDH, 7 juin 2000, Papon c/ France ; 5 avril 2001, Priebke c/ Italie). Et s'il peut y avoir problème sous l’angle de l’article 3, c'est parce que l'âge s'accompagne souvent de problèmes médicaux (dans les deux cas cités, pathologies cardiovasculaires) ou de dépendance.




La détention d'une personne handicapée constitue un problème très critique du point de vue du respect de la dignité de l'intéressé. A elle seule, l'inadaptation des conditions de détention (absence d'ascenseurs, pas d'accessibilité des locaux et des sanitaires, dépendance difficilement compatible avec les exigences de la vie carcérale...) peut en effet conduire à regarder la détention comme un traitement dégradant. La Cour a ainsi jugé dans l'arrêt Vincent c/ France (CEDH, 24 oct. 2006) , que le maintien en détention d'un détenu paraplégique à la prison de Fresnes, établissement fort ancien, particulièrement inadaptée à la détention de personnes handicapées physiques a constitué un traitement dégradant, d'autant qu'aucune raison impérieuse nécessitaient son maintien à Fresnes. Elle relève en effet que le requérant ne pouvait ni quitter sa cellule, ni se déplacer dans l’établissement par ses propres moyens, et qu'il devait, pour passer des portes, être porté pendant qu’une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut été passé l’embrasure de la porte, ce que la Cour juge "rabaissant et humiliant".

Citons encore l'affaire Mathew, dans laquelle la Cour a qualifie de traitement inhumain, la mise à l'isolement d'un détenu dans une cellule n’offrant pas une protection suffisante contre les conditions météorologiques et climatiques, et dans un endroit duquel il ne pouvait accéder à la zone d’exercice extérieure et s’aérer qu’au prix de souffrances physiques inutiles et évitables. Il faut préciser que l’intéressé souffrait d’une pathologie du dos nécessitant l’usage d’un fauteuil roulant qui lui avait été confisqué après qu’il s’en fut servi comme d’une arme.

Enfin, la détention d'une personne gravement malade peut constituer un traitement contraire à l’article 3 dès lors en tout cas que le détenu est atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont que son état de santé est durablement incompatible avec la vie carcérale (Gürbüz).
Ainsi, tout en refusant de déduire de l'article 3 « une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé » (Mouisel) e juge de Strasbourg estime que dans ces circonstances des mesures particulières doivent être prises (par ex. hospitalisation ou placement dans un lieu où l'intéressé serait surveillé de jour comme nuit...). Et elle qualifie de traitement inhumain et dégradant le maintien en détention d’une personne atteinte d’une leucémie en phase terminale, « qui a constitué une épreuve particulièrement pénible et causant une souffrance allant au-delà de celle que comporte inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux » (Mouisel) ’un détenu âgé de 84 ans, paraplégique, souffrant de plusieurs maladies graves dont la plupart étaient chroniques et incurables, invalide et totalement dépendant pour les gestes de la vie quotidienne (Farbtuhs).

La maladie mentale constitue un autre cas particulier, compte tenu de la vulnérabilité et parfois de l'incapacité des personnes qui en souffrent, de se plaindre de manière cohérente ou de se plaindre tout court des effets d'un traitement donné. La Cour estime nécessaire de porter une attention particulière à la psychose parce qu'elle nécessite un encadrement médical approprié, du fait notamment d'un risque élevé de suicide.


Or il faut savoir qu'en France 24% de la population carcérale présentent un trouble psychotique (dont 7% de paranoïa et de psychose hallucinatoire chronique et de 7% schizophrénie, soit sept fois plus que dans la population générale), sur-représentation qui résulte tout à la fois de la réduction drastique du nombre de lits en hôpital psychiatrique et de la réforme de l’irresponsabilité pénale.

La France a d'ailleurs été condamnée pour avoir maintenu en détention un prisonnier schizophrène malgré les indéniables efforts d'adaptation des autorités pour assurer une prise en charge adéquate de l’état de santé de l'intéressé (CEDH, 11 juill. 2006, Rivière). A plus forte raison, la Cour condamne-t-elle le fait d'avoir infligé à un détenu psychotique un isolement disciplinaire de 45 jours trois jours après une TS (durant lequel l'intéressé s'est suicidé), une telle sanction n’étant pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’un malade mental (Renolde).

Le droit pénal français permet désormais de prendre en compte l’état de santé pour une décision de libération conditionnelle, c'est-à-dire notamment « lorsqu’il y a nécessité de subir un traitement » (CPP, art. 729). En outre, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades permet la suspension d’une peine pour les condamnés atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention CPP, article 720-1-1). Toutefois, cette mesure n'est applicable qu'à l'égard des condamnés, non des prévenus. Il existe donc un vide juridique concernant le sort des malades dont l'état de santé est incompatible avec la détention au stade de l'information.

La responsabilité de l'Etat pourra évidemment être engagée. On peut d'ailleurs observer que la cour d'appel d'Angers a retenu la responsabilité de l'Etat à raison des conditions de garde à vue d'une personne diabétique présentant une surcharge pondérale majeure (7 000 € de DI) (CA Angers, 17 octobre 2007).

Il reste assurément beaucoup à faire pour humaniser les lieux d'enfermement et traiter les personnes privées de liberté avec le respect dû à leur dignité. C'est aux racines du pb qu'il faut s'attaquer, dégager des financements pour rendre les lieux d'enfermement sinon confortables au moins décents, réduire la surpopulation carcérale, faire évoluer les pratiques et les mentalités : à cet égard, il faut rappeler fermement que la privation de liberté est la seule peine, lutter, contre ce que Badinter qualifie d'insupportable loi d'Airain, qui veut que les détenus ne soient pas mieux lotis que les personnes (libres) les plus démunies : or c'est contreproductif, on ne favorise pas la réinsertion en traitant les détenus comme des animaux !... Tout cela ne relève plus du domaine du droit mais de celui de la politique.

Je vous remercie.

Pour en savoir plus :

Isolement
Le Conseil d'Etat a récemment jugé que le principe et le régime de la mise à l'isolement prévus et organisés par le CPP ne portent pas, par eux-mêmes, une atteinte disproportionnée au respect de l'intégrité de la personnalité des détenus (CE, 31 oct. 2008, Section française OIP). Il en résulte que l'existence d'une telle atteinte, qui n'est pas inhérente à la mise à l'isolement en soi, devra faire l'objet d'un examen au cas par cas. C'est ce qui explique que la prolongation de la mise à l'isolement d'un détenu ne crée pas, par elle-même, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 CJA. Par suite, il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement la gravité des troubles invoqués par le requérant pour caractériser la situation d'urgence, au vu de l'ensemble des circonstances de la demande qui lui est présentée et compte tenu des justifications apportées par le requérant et par l'administration (CE, 26 janv. 2007, Khider). On relèvera toutefois que le projet de loi pénitentiaire tend à contrecarrer cette jurisprudence en instituant une présomption d'urgence pour les placements à l'isolement, qu'ils soient d'ailleurs disciplinaires ou administratifs (art. 53 et 53 bis).
L'importance objective des effets de la mise à l'isolement sur les conditions de détention a de plus conduit le Conseil d'Etat à ouvrir au recours pour excès de pouvoir toutes les décisions de mise à l'isolement qu'elles soient disciplinaire (CE, 17 févr. 1995, Marie), administrative (CE, 30 juillet 2003, Remli) ou conservatoire (CE, 17 déc. 2008, Section française OIP).

Grève de la faim
Tout récemment, la Cour a jugé que le refus de libérer un détenu pratiquant une grève de la faim, dont il devait finalement décéder, ne viole ni l'article 2 ni l'article 3, dès lors que l’intéressé n’a pas été privé en milieu carcéral de certains soins médicaux qu’il aurait pu recevoir en liberté. En effet, s'agissant de l'opportunité de maintenir une personne en détention provisoire, la Cour ne peut substituer son point de vue à celui des juridictions internes, encore moins quand, comme en l'occurrence, les autorités nationales ont largement satisfait à leur obligation de protéger l'intégrité physique de l'intéressé, notamment par l'administration de soins médicaux appropriés (CEDH, 31 mars 2009, Horoz c. Turquie). La Commission européenne des droits de l'homme avait déjà eu l'occasion de dire que des faits suscités par des actes de pression de cette sorte envers les autorités ne pouvaient entraîner une violation de la Convention, dans la mesure où ces autorités auraient dûment examiné et géré la situation (Comm. EDH, Déc. 2 juillet 1997, W. M. c/ Allemagne ; 14 avril 1994, William Grice c/ RU).


Conditions de détention
a CA de Nancy a considéré que "les conditions de détention ne sont pas exclues du champ d'application de l'article 225-14 du code pénal qui incrimine le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine. La personne détenue est bien vulnérable et sa détention s'analyse en un hébergement. Certes l'Etat ne peut être mis en cause mais il appartiendra au juge d'instruction de déterminer si des personnes physiques ont été en position du fait notamment de leurs fonctions, de créer ou de mettre un terme à des conditions d'hébergement éventuellement incompatibles avec la dignité de la personne détenue (CA Nancy, 1er mars 2007). La Cour de cassation a pour sa part estimé que les faits dénoncés n'entrent pas dans les prévisions de l'article 225-14 du code pénal et ne peuvent admettre aucune qualification pénal (Cass. crim., 20 janvier 2009).

La durée de la détention
Le prononcé d'une peine d'emprisonnement perpétuel à l'encontre d'un adulte n'est pas en soi prohibé par l'article 3 mais peut soulever une question sous l'angle de l'article 3 lorsque la peine est incompressible (CEDH, 3 juillet 2001, Nivette c. France). S'il existe dans le droit national, une possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre ou d'y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous condition, il est satisfait aux exigences de l'article 3, même si cette possibilité est limitée (Einhorn) et même si la perspective d'une détention illimitée a généré une angoisse et une détresse profondes dès lors que l'intéressé n'a pas été privé de tout espoir d'élargissement (CEDH, 19 févr. 2009, A et a. c/ RU). La Cour a par conséquent refusé de qualifier de traitement inhumain ou dégradant l'exécution d'une peine de quarante et une années de prison, l'intéressé ayant eu, après quinze années, la possibilité de demander sa libération conditionnelle à intervalles réguliers (CEDH, 11 avr. 2006, Léger c/ France).

Détention de personnes âgées
Une proposition de loi déposée en 2002 mais restée lettre morte prévoyait une dispense d'exécution de peine de prison pour toute personne condamnée à une peine d'emprisonnement ferme, âgée de 73 ans révolus au moment du jugement (correspondant à l’espérance de vie moyenne d’un homme en France), sauf exceptions (récidivistes, et condamnation pour agressions sexuels, trafic de stupéfiants, terrorisme, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou infraction commise en bande organisée). Il faut dire que l'objectif principal énoncé par l'auteur de la proposition était de "libérer des places de prison et de faire aussi et par la même occasion un acte humanitaire" ! (Th. Mariani, AN n° 406, 28 nov. 2002).
Une autre solution adoptée aux USA et en Allemagne consisterait à construire des prisons-hospices ou de prévoir dans les établissements pénitentiaires des ailes gériatriques.

Articles publiés par la conférencière

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté AJDA (Actualité juridique – droit administratif), janvier 2008, pp. 84 – 89

La dignité des détenus, le juge et le contrôle des mesures de sécurité pénitentiaire , Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, novembre 2007, page 77

La détention de personnes atteintes de troubles mentaux – condamnation ferme de la « prison –asile »(Cour européenne des droits de l'homme,11 juillet 2006, Rivière c. France), Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, février 2007, page 541

Le point sur la compatibilité du placement à l'isolement des détenus avec l'article 3 de la CEDH après l'arrêt Ramirez Sanchez c/ France, AJ Pénal, Novembre 2003



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