La justice pénale internationale : les différends transatlantiques

Date 29/11/2009 7:29:57 | Sujet : justice pénale inter

par Julian Fernandez

Docteur en Droit, Chercheur associé au Centre Thucydide et au Centre de Recherche sur les Droits de l'Homme de l'Université de Paris II

Ce texte fait suite à la conférence de Monsieur Julian Fernandez du Jeudi 19 novembre 2009 à la Maison fraternelle à l'initiative de l'ACAT Paris V en association avec l'ERF Quartier Latin-Port Royal. L’auteur présentait une problématique travaillée au cours de son doctorat et reprise in :
La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale [avant propos de Serge Sur, préface d’Emmanuel Decaux], Paris, Pedone, à paraître (1er trimestre 2010).


L'ACAT Paris V remercie vivement Monsieur Julian Fernandez pour la qualité de son intervention.

Résumé :

L'Europe et les États-Unis ont eu une responsabilité considérable dans la construction de l'ordre international contemporain créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et l'on pouvait présumer, au titre des valeurs partagées, un positionnement semblable sur l'évolution du droit international et sur les institutions discutées après la fin de l'ère bipolaire. Pourtant, l'institutionnalisation de la justice pénale internationale va profondément diviser le couple transatlantique. La différence entre l'unilatéralisme des États-Unis et le multilatéralisme de l'Union européenne en ce qui concerne la Cour pénale internationale n'est pas accidentelle. La juridiction créée correspond bien davantage à l'expérience européenne qu'à l'expérience américaine.
Je suis assez honoré d’abord de participer au cycle de conférences de l’ACAT Paris V, honoré à double titre parce que les conférences précédentes sont souvent d’un intérêt prononcé et réalisées par des personnes de qualité et aussi parce que l’ACAT et le CRDH ont déjà eu l’occasion de se croiser et que je considère cette association comme utile et précieuse.

Je me réjouis en plus d’aborder un sujet assez polémique pour lequel j’ai travaillé quelques années et qui est de plus d’une actualité riche aussi bien au niveau des deux protagonistes, les États-Unis et l’Union européenne, qu’au niveau de l’objet du contentieux à la Cour pénale internationale.

Quelques mots de présentation d’abord : je suis docteur en droit de l’Université de Paris II Panthéon – Assas et enseignant à l’Université d’Orléans. J’ai soutenu ma thèse l’année dernière sur la politique juridique extérieure des États-Unis à l’égard de la Cour pénale internationale après cinq années de recherche effectuées dans le cadre du Centre de recherche des droits de l’homme de Paris II (CRDH) mais aussi dans le cadre du Centre Thucydide qui est un autre centre de recherche de Paris II et qui est animé par le Professeur Serge Sur.

Je vais insister ce soir plutôt sur la Cour pénale internationale (CPI) et parler un peu moins sur ce qui a pu être l’évolution normative du droit international pénal.





Je vais parler ce soir d’une révolution et d’un divorce.

La CPI est bien une révolution en droit international – dans le sens d’une rupture radicale d’un ordre établi - au moins aussi importante que ne l’a été la création des Nations unies. Il ne faut jamais l’oublier. C’est une rupture dans le droit international positif à plusieurs titres. Cette révolution dans le droit international positif a créé un contentieux dans un couple – un divorce en quelque sorte pour le couple transatlantique, ce couple vanté par Tocqueville et qui n’a pas qu’une existence mythique, comme on a pu s’en rendre compte notamment dans la seconde partie du XXème siècle.

Pourquoi l’institutionnalisation de la justice pénale internationale en général et la création d’une juridiction permanente en particulier constituent une révolution ?
Parce que, vous le savez, les États se veulent absolument souverains quant à la régulation de ce qui se passe sur leurs territoires, ce que font leurs soldats en particulier au regard des violations des infractions les plus graves – la déportation, la torture, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre... bref – tous les meurtres qui ont un lien avec le pouvoir, qui ne peuvent exister sans un lien direct ou indirect avec le pouvoir. N’oubliez jamais, et Hobbes le rappelait régulièrement, que la justice et avec le droit de faire la guerre, les deux épées du souverain et que l’on ne renonce pas facilement pour un Etat à la décision de rendre ou pas la justice dans un domaine aussi sensible que sont les crimes de génocide ou les crimes de guerre. Preuve en est : toutes les tentatives, pour créer une juridiction pénale internationale avaient auparavant échoué. Si les sujets s’entendaient sur l’harmonisation des procédures voire sur une définition commune des crimes, le stade de l’institutionnalisation - stade suprême de la justice pénale internationale – n’a suscité avant la fin du XXe siècle que de cruels espoirs. En témoignent déjà les tentatives de la Croix rouge au XIXème siècle puis après la première guerre mondiale dans les années 20 puis encore après la seconde guerre mondiale puis à nouveau dans les années 50, relayées par la SDN, par les intellectuels, par les Nations unies : que des projets vains !



Pourquoi cette vieille lune a pu se réaliser à la fin du millénaire précédent ? C’est une conjugaison de circonstances favorables propres à la réalisation de ce vieux phantasme : d’abord la fin de la guerre froide, l’affrontement idéologique de deux blocs qui bloquait nombre de projets non seulement en matière de justice pénale mais aussi dans le domaine de la sécurité collective. En parallèle, la montée de nouveaux acteurs du droit international : les ONG, le phénomène des ONG qui s’est développé de façon accélérée à partir des années 90. Or, l’objet même des ONG c’est de défendre le bien commun, l’individu, les droits fondamentaux. Elles ont donc plaidé pour que les États adoptent des conventions protectrices – souvenez-vous des mines anti-personnel.
Troisième élément important après la fin de la guerre froide et la montée de nouveaux acteurs, c’est malheureusement une actualité assez dramatique au début des années 90 : ce ne sont pas les massacres qui manquaient, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda – rappelons qu’au Rwanda en cent jours on a compté plus de 800 000 morts. Dernier élément enfin, il s’agit davantage d’un vecteur, c’est la médiatisation de ces événements rendue plus facile avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Bref, dans les années 90, il y avait de la place politique, des motifs juridiques et des opportunités médiatiques pour créer ces juridictions pénales. D’abord le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie en 1993 (le TPIY), ensuite le tribunal international pour le Rwanda en 1994 (le TPIR) et enfin la Cour pénale internationale en 1998. Tous ces événements sont ainsi liés et le produit d’un contexte très particulier : on peut raisonnablement dire que la CPI n’aurait pas pu être créée dans les 80 évidemment et elle n’aurait pas pu être créée non plus, et cela est rare dans l’histoire, dans les années 2000. Il y avait une fenêtre d’opportunité dans les années 90. Après le 11 septembre, n’étaient plus à l’ordre du jour de la « communauté internationale » les droits de l’homme ou l’avancée du droit international, mais la lutte contre le terrorisme – lutte dominée apr des alliances de circonstances, des réflexes nationalistes et une grande méfiance à l’égard de l’universalisme et de l’outil juridique.



En toute hypothèse, quid du bilan de ces juridictions ?

La CPI existe depuis 2002, les TPI depuis 1993 et 1994. Les TPI, juridictions temporaires, sont dans une stratégie de fin de mandat – en 2013 tout au plus les TPI auront disparu. Il faut donc davantage se pencher sur le bilan de la CPI. Entré en vigueur en 2002, le Statut de Rome rassemble aujourd’hui 110 États parties et c’est bien davantage que la moitié des États dans le monde. Aujourd’hui, quatre situations sont traitées par la Cour (peut-être une cinquième bientôt avec le Kenya), uniquement africaines ce qui créé un certain nombre de polémiques : le Rwanda, la République démocratique du Congo (RDC), la République centrafricaine et aussi le Soudan (province du Darfour). Quatre situations depuis 2002 mais aucun procès définitivement terminé, deux procès qui viennent de commencer – tous les deux relatifs à la situation en RDC. Le premier procès c’est l’affaire Lubanga - Thomas Lubanga accusé d’avoir enrôlé des enfants-soldats, le deuxième procès qui va s’ouvrir ces jours-ci, concerne Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. En somme, sept ans d’existence, quatre situations seulement dont trois ont été déférées par les États eux-mêmes - les fameux « auto-référés ». Il n’y a que pour le Darfour qu’il y a eu saisine de la CPI par le Conseil de sécurité via la résolution 1593 en 2005 pour la situation au Soudan. Quatre situations, à peine deux procès en cours, plusieurs centaines de millions dépensés. C’est un bilan bien faible. Pourquoi ?



La CPI a dû affronter au moins deux séries de difficultés : les premières internes, les secondes diplomatiques et opérationnelles.

Les difficultés internes, et on ne pouvait guère le prévoir, c’est l’affrontement entre ses organes. On en parle assez peu et c’est bien une réalité : entre le bureau du procureur, le greffe, les juges. Il y a eu de grandes controverses, la plus importante s’étant déroulée l’année dernière lorsque les juges ont demandé la suspension, voire la libération de Thomas Lubanga puisque selon eux le procureur avait manqué à certaines dispositions du statut de Rome et notamment à la communication d’éléments à décharge à la défense de l’accusé. Bref, de grandes tensions internes entre le procureur, le greffe et les juges. Mais l’essentiel ce sont les difficultés opérationnelles et diplomatiques de la CPI qui constate qu’elle est malheureusement dépendante du pouvoir : elle ne dispose pas d’armée, de police à sa disposition. Elle dépend du bon vouloir et de la puissance des États intéressés évidemment, des États africains dans ces cas précis, mais aussi certainement des grandes puissances. Or le soutien a été très faible voire inexistant. Dans ces difficultés diplomatiques, on y trouve le cœur de notre sujet de ce soir : l’affrontement entre les États-Unis et l’Union européenne. Les États-Unis ont été la puissance « négative » contre l’existence de la Cour. Ils ne sont pas contentés de refuser son existence, ils ont essayé au moins jusqu’en 2005 de la neutraliser. Et si la CPI existe encore aujourd’hui et a pu quand même mener quelques actions, c’est grâce à l’Union européenne, aux États membres de l’Union et à l’institution elle-même. Un vrai contentieux s’est installé entre les États-Unis qui ne voulaient pas de cette juridiction et l’Union européenne qui est devenue le premier défenseur de cette juridiction pénale internationale permanente.



Pourquoi un divorce au sein du couple transatlantique sur l’institutionnalisation de la justice pénale internationale ?

Vu de loin, cette dispute transatlantique est surprenante considérant les liens entre les deux acteurs et leur influence commune sur le développement du droit international. Vu de près, si l’on se penche sur les différents niveaux de puissance, cette dispute est nettement moins surprenante. Compte tenu des différences de culture et de puissance entre ces deux acteurs et si on se penche sur les spécificités de la CPI, on peut comprendre que la confrontation était inévitable.

En toute hypothèse, un état des lieux s’impose pour mieux apprécier les perspectives, perspectives actuelles pour au moins trois séries de raisons. Vous savez tous que le Président Barack Obama vient de recevoir le prix Nobel de la paix. On attend beaucoup de lui dans le domaine des droits de l’homme et dans le domaine de la justice pénale. Il faut notamment faire oublier Abu Ghraïb, Guantanamo. On attend donc de Barack Obama qu’il fasse quelques gestes en faveur de la CPI. On attend peut-être trop. Deuxièmement et cela concerne l’Union européenne, vous le savez, la République tchèque a ratifié il y a quelques semaines le statut de la CPI. Cela signifie que les 27 membres de l’Union européenne sont tous parties à la CPI. Le Président tchèque bloquait la ratification depuis plusieurs années. L’Union européenne est la seule aire géographique avec l’Amérique du Sud où tous les États membres sont parties au statut de Rome. Symboliquement, l’évolution est intéressante. Enfin et surtout, va se tenir en juin prochain en Ouganda la conférence de révision de la CPI, une conférence qui est prévue par le texte conventionnel et qui aurait déjà dû se tenir l’année dernière.e sera l’occasion éventuellement d’adopter un certain nombre d’amendements qui pourraient finir de rapprocher la position américaine de la position européenne. On dispose là d’une opportunité d’amender la CPI pour qu’elle puisse obtenir un soutien américain plus prononcé.

Revenons maintenant sur l’histoire de ce différend, ses manifestations (I. La rupture) comme ses origines (II. La logique) avant de conclure sur son actualité.




La rupture de l’harmonie du couple transatlantique dans l’évolution de la justice pénale internationale

L’harmonie originelle

Evoquons tout d’abord l’harmonie originelle au sein du couple transatlantique quant à l’institutionnalisation de la justice pénale internationale. Elle s’est manifestée avant toute chose à propos des tribunaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Ces tribunaux pénaux internationaux, premières marches vers la CPI, première évolution depuis Nuremberg et Tokyo, n’auraient jamais existé sans le soutien des États-Unis et des membres de l’Union européenne. Non seulement ils n’auraient pas été créés mais ensuite leurs maigres succès, ils les doivent au couple transatlantique.

En somme, il y a eu un intérêt partagé des États-Unis et de l’Union européenne dans la vie et dans l’œuvre de ces juridictions temporaires en particulier à l’égard du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).

Ce qui est étonnant, c’est que le soutien à ces juridictions n’a pas été constant. Un engouement au moment de la création et par la suite une relative indifférence jusqu’au moins aux années 97-98, jusqu’à la guerre du Kosovo pour le TPIY, apogée dans le début des années 2000 du soutien du couple transatlantique aux deux juridictions et ceci pour des raisons complexes. Et aujourd’hui, accord là-aussi du couple transatlantique sur la nécessité de fermer ces juridictions pénales internationales. On le voit dans la position des membres du Conseil de sécurité qui ont adopté plusieurs résolutions qui programment la fin de ces deux tribunaux provisoires.

Autrement dit, non seulement les États-Unis et l’Union européenne ont été d’accord pour créer cette juridiction pénale internationale mais en plus les deux ont eu des positions politiques semblables, comparables à l’égard des TPI pendant quinze ans.Ce qui explique les cycles qu’ont connu les TPI : un cycle d’indifférence, un cycle d’apogée puis un cycle d’abandon.

Concrètement, les États-Unis et l’Union européenne ont apporté une aide technique et financière qui a été déterminante pour les deux tribunaux. Les États-Unis ont été les premiers bailleurs de fond du TPIY. Par ailleurs, ils ont aussi endossé le rôle du diplomate et du soldat. C’est grâce à la coopération entre les soldats américains et les soldats européens que les principaux fugitifs ont été arrêtés. Ensuite, les Américains avec leurs moyens satellites ont aidé à collecter des preuves décisives. Contrairement au génocide nazi, ce qui s’est passé en ex-Yougoslavie n’a pas été consigné. Il n’y avait pas de registres. Il fallait les chercher les preuves des charniers. Cela nécessitait de disposer de moyens technologiques très importants.



L’Union européenne disposait d’un autre atout: elle a conditionné sa politique d’élargissement aux États intéressés à une coopération efficace de ces États candidats au TPIY. Je pense à la Serbie, à la Croatie, à la Bosnie-Herzégovine dans les différents critères que ces États devaient remplir pour se rapprocher progressivement de l’Union, pour signer des accords de coopération, qui un jour peut-être leur permettront d’intégrer pleinement l’Union européenne, il y avait la participation au TPIY.

En même temps, aussi bien les États-Unis que des membres de l’Union européenne, en particulier la France et la Grande Bretagne, se sont mis d’accord aussi pour ne pas communiquer au TPIY et au TPIR les informations les plus sensibles. La France a refusé aussi que ses militaires et que certains généraux viennent témoigner. Pareil pour le Royaume Uni. Pareil pour les États-Unis. Il y a bien eu aussi un accord sur les limites de cette coopération et de ce soutien à ces deux juridictions temporaires. Une harmonie dans le soutien comme dans le non-soutien de ces juridictions.

Pourquoi ces juridictions ont-elles connu un âge d’or à la fin des années 90 ? Parce que la communauté internationale, en particulier le couple transatlantique avait besoin d’une instance légitimante en ex-Yougoslavie. Le Kosovo n’a pas été un conflit mené dans les règles de l’art, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est une opération qui n’a pas reçu l’accord du Conseil de sécurité. Il fallait néanmoins apparaître vertueux. Il fallait raccrocher cette opération au droit international. C’est le moment qu’elles ont choisi pour renforcer leur appui au TPIY, institution légitimante. Les deux partenaires du couple se sont également mis d’accord pour mettre un terme à cette expérience des TPI début 2009-2010 mais avec l’arrestation de Karadzic, avec le retard pris par les procédures d’appel aussi bien au TPIR qu’au TPIY, ce sera vraisemblablement plutôt 2013 pour le TPIY. Les deux tribunaux ont été marqués par la relation transatlantique qui a été le moteur de leur quotidien.

On aurait donc présumer qu’à l’égard d’une institution permanente, une sorte d’aboutissement de l’institutionnalisation de la justice pénale internationale, on puisse retrouver cet accord originel du couple transatlantique. Il n’en a rien été.



La rupture au sujet de la CPI

D’abord l’Union européenne que ce soit au cours du processus de négociation comme au moment de l’entrée en vigueur de la Cour, l’Union européenne a réitéré à de nombreuses reprises son engagement à la réussite du projet. Cet engagement s’explique par le fait notamment que l’Union européenne devait expérimenter sa politique étrangère et de sécurité commune (la PESC), la CPI était l’occasion de mener enfin une politique étrangère commune à peu de frais.
Concrètement, lors des négociations à Rome en 1998, 13 puis 14 des 15 États membres de l’Union européenne à l’époque, appartenaient au groupe des États pilotes c’est à dire le groupe d’États qui défendaient la cause d’une cour la plus indépendante et la plus autonome possible des États et du Conseil de sécurité. Deux notions très importantes : indépendante c’est à dire capacité de protection vis à vis des interférences du Conseil de sécurité par exemple et autonome, c’est à dire capacité d’action – par exemple le fait que le procureur puisse saisir lui-même la Cour. Cette indépendance et cette autonomie, elles ont été obtenues grâce aux États pilotes et aux ONG. Dans les États pilotes, ceux qui plaidaient pour la Cour la plus indépendante et la plus autonome possible, il y avait 13 puis 14 des 15 États européens. Quel était celui qui manquait à l’appel : la France. Mais qui néanmoins s’est ralliée au consensus final quand même au prix de la signature de l’article 124 qui a été en vigueur de 2002 à 2008. La France a donc finalement rejoint le consensus sur la CPI

L’Union européenne n’y est pas pour rien. Elle n’est pas le facteur exclusif mais elle est joué un rôle important dans l’allégeance de la France à la CPI ou plutôt de la France vis à vis aux autres membres du Conseil de sécurité. Ce qui est important, ce qui est décisif même, c’est que la couleur de la CPI, l’architecture de la CPI, l’économie de la CPI, une juridiction bien plus indépendante et autonome que les premiers projets, comme ceux de la commission de droit international; Le projet de cette commission en 1994 était très conservateur : la Cour pour être compétente aurait dû recueillir le consentement de plusieurs États intéressés, où la Cour était dépendante du Conseil de sécurité etc..En quatre ans, on a abouti à un projet nettement plus libéral grâce aux ONG, grâce aux pays pilotes, grâce à l’Union européenne. Un projet libéral, un projet honni par les États-Unis : en quatre ans, alors que les États Unis avaient une position plutôt favorable à la Cour prévue en 1994, en 1998 à Rome les États-Unis se sont opposés au modèle proposé et façonné par les États européens.



Dès la construction, on a une opposition entre les États-Unis et les États membres de l’Union européenne. L’Union européenne c’est aussi une institution qui grâce à son commissaire Emma Bonino a toujours soutenu le modèle le plus libéral pour la CPI. L’Union européenne a financé aussi la participation de nombreuses ONG à la conférence de Rome. Plus de 120 ONG étaient représentées à Rome. C’est la première fois dans une négociation diplomatique de cette importance, avec la conférence d’Ottawa un an avant sur les mines anti-personnel, c’est la première fois que les ONG étaient aussi présentes et aussi actives dans les couloirs. Nombre d’entre elles ont été financées par l’Union européenne.

Au grand soir du 17 juillet 1998, tous les États de l’Union européenne ont voté en faveur du texte. La plupart se sont fait un devoir de le ratifier le plus rapidement possible. Ceci explique l’entrée en vigueur rapide de la CPI : quatre ans après la signature du traité de Rome. La plupart des experts considéraient qu’il faudrait au moins six à huit ans avant que la CPI entre en vigueur. C’est la ratification de soixante États qu’il fallait obtenir pour que la CPI puisse voir le jour. On pensait que cela allait prendre des années. Cela a pris quatre ans. Quatre ans, c’est très rapide. Grâce à l’action de l’Union européenne.

De leur côté, les États-Unis sont arrivés à Rome en se disant : si on négocie sur le projet de 1994, on ne peut, peut-être pas ratifier, mais au moins on peut tolérer cette juridiction internationale. Mais ils ont constaté très rapidement que le modèle libéral proposé se rapprochait de leur ligne rouge. Quelle était cette ligne rouge ?.Pour les États-Unis, il n’était pas question qu’un ressortissant américain puisse être soumis à une juridiction internationale sans le consentement de Washington. Dès lors que le modèle de la CPI autorise au vu des conditions préalables de compétence la poursuite d’un ressortissant d’un Etat non partie au traité de Rome sans son accord formel, cette ligne rouge américaine était franchie. Les États-Unis ont donc pris la responsabilité, sous l’administration Clinton, sous une administration démocrate, le dernier jour de la conférence de briser le consensus et d’appeler au vote. Et de se prononcer contre, avec six autres États.



Les États-Unis est la seule grande puissance qui a voté contre l’accord. On ne prend pas facilement ce type de responsabilité dans une conférence internationale. Il faut vraiment que le projet proposé viole votre ligne rouge.

Quid après les négociations? Comme nous l’avons vu, l’Union européenne a adopté des positions communes, a multiplié les pressions communes sur les États qui ont participé à la conférence de Rome pour qu’ils ratifient le statut de Rome, l’Union européenne s’est engagée dans la négociation des textes complémentaires. Parce que la CPI ce n’est pas seulement le statut de Rome c’est aussi les textes complémentaires : le règlement de procédure et de preuves – un texte fondamental adopté en 2002 - , les éléments d’écrits etc.. La CPI c’est un régime juridique qui n’est pas uniquement constitué du statut de Rome. Et l’Union européenne s’est engagée très clairement dans la négociation active de ces instruments complémentaires.

Elle a d’ailleurs veillé à ce que ces instruments complémentaires ne viennent pas remettre en cause ce qui avait adopté dans le statut de Rome. Elle s’est donc opposée à toutes les tentatives américaines notamment celle de décembre 2000 pour intégrer dans ces textes juridiques complémentaires une position qui remettrait en cause le modèle libéral proposé par le statut de Rome.

Ainsi, cet engouement européen qui ne s’est pas manifesté seulement au moment de la négociation mais également après à travers les textes complémentaires, à travers les pressions exercées sur les États tiers pour qu’ils ratifient le statut, à travers le soutien financier accordé aux ONG – plus de 17 millions d’euros- pour qu’elles aident les États à transposer dans leur droit interne le statut de Rome. Il ne suffit pas de ratifier le statut de Rome, il faut encore adapter son droit national aux droits substantiels du statut de Rome : la définition du crime contre l’humanité etc..



De leur côté, les États-Unis ont progressivement radicalisé leurs positions à l’arrivée aux affaires de l’administration républicaine, sous l’influence des conséquences du 11 septembre, de l’entrée en vigueur du Statut en 2002 et de l’activisme de l’Union européenne. L’ensemble de ces éléments va pousser les États-Unis à radicaliser leurs positions. Pourquoi ? Tout le discours néo-conservateur, toute la politique américaine adoptée de 2002 à 2005 est une politique offensive que l’on a appelé la démocratie transformationnelle. C’est une politique belliqueuse.
Or quelle est la grande crainte des États-Unis – puissance interventionniste – c’est que leurs soldats soient accusés de crime de guerre sachant que ceux-ci ne peuvent malheureusement pas être exclus compte tenu de la spécificité des conflits modernes, surtout si l’on prend en compte la formation des soldats américains dans le domaine du droit, surtout quand vous avez devant vous une population insurgée dans laquelle il n’y a pas de principe de distinction entre les combattants et les civils. Ce sont des guerres asymétriques. Il faut énormément de sang froid pour ne pas commettre de bavures pour des soldats qui sont plus jeunes que vous, étudiantes et étudiants en droit, Il faut un sang froid – et c’est toute la qualité d’un soldat- et tous ne l’ont pas. Tout cela pour dire que même non intentionnellement des crimes de guerre ne peuvent être exclus. Or précisément ces crimes de guerre peuvent être exploités. Pourquoi ? Parce que la démocratie américaine est très sensible à la justice et où le rôle du droit est important. Que des soldats puissent être accusés de crimes de guerre, cela créé d’un point de vue stratégique une difficulté. Bref, conformément à une sorte de principe de précaution, les États-Unis ont voulu se protéger de cette éventualité, une éventualité lointaine quand même. Ce n’est pas demain que la CPI aurait mis en cause un ressortissant américain sur le terrain, il faut être honnête, mais vous connaissez la devise de la CIA : « Espérer le meilleur, prévoir le pire ».



La CPI c’est le symbole d’une juridiction qui se veut autonome et indépendante, le symbole d’un monde qui pour une grande puissance que sont les États-Unis, n’est pas le monde rêvé de demain d’un point de vue réaliste, d’un point de vue stratégique, d’un point de vue réaliste. Les États-Unis ont considéré qu’il leur fallait sur-réagir sur le plan bilatéral et sur le plan plurilatéral. Pendant sept ans, de 2001 à 2008, avec un pic très net entre 2002 et 2005 sous le premier mandat de l’administration Bush, les choses ayant changé progressivement lors du second mandat. Les États-Unis ont adopté toute une série de mesures unilatérales et plurilatérales pour neutraliser la CPI. Non seulement ils ont refusé d’en faire partie, non seulement ils ont refusé de ratifier le statut de Rome, ils ont essayé de la neutraliser : deux séries de mesures unilatérales et multilatérales. Exemple de mesure unilatérale : les États-Unis ont adopté une loi qui interdit aux États-Unis de participer à une opération multilatérale dans laquelle ses soldats ne disposeraient pas de protection contre la CPI, qui interdit aux États-Unis de négocier avec la CPI, de la financer, de collaborer avec elle. Et de manière plus offensive, une loi de 2002 prévoit même que si jamais un soldat américain ou un protégé américain – donc pas nécessairement une personne qui aurait la nationalité américaine- est détenu par la CPI à la Haye, les États-Unis devraient employer – je cite - tous les moyens nécessaires pour le libérer. C’est la promesse d’un acte de guerre contre un Etat européen.



Toutefois, si on étudie de plus près ces textes, il s’agit avant tout d’une position symbolique. Concrètement, le Congrès ne peut pas autoriser par avance, ou demander par avance au Président de recourir à la force. Néanmoins, les mots sont forts, ils ne sont pas fortuits : on promettait un contentieux voire même un conflit avec un Etat européen si jamais un détenu américain venait à être présent sur le sol hollandais (où se trouve le siège de la CPI). Multilatérale : les États-Unis ont cherché à obtenir du Conseil de sécurité, de leurs pairs, une procédure de protection des États qu’ils n’avaient pas réussi à obtenir à Rome en 1998. La certitude que la CPI ne pourra pas s’intéresser licitement aux ressortissants américains. On l’a vu, le modèle construit en 1998 habilite la CPI à poursuivre un ressortissant américain dès lors qu’il aurait commis des crimes sur le territoire d’un Etat partie à la CPI. Que vont faire les États-Unis ? obtenir du Conseil de sécurité et des autres États une protection par rapport à cette éventualité. Comment ? Via des résolutions du Conseil de sécurité (résolutions 1422 et 1487) en 2002 et 2003 qui vont interdire à la CPI de poursuivre des ressortissants d’États non parties au Statut participant à une opération onusienne. Mais cela ne suffisait pas. Autre action bilatérale avec plus de cent États : obtenir de chacun de ces cent États un accord juridique qui dispose que l’Etat peut, le cas échéant ne pas remettre à la CPI un ressortissant américain qui sera recherché par cette juridiction. Or comme vous le savez, la justice, le droit international sont impuissants sans la collaboration des États. Alors dans ce cas précis, « on coupe les bras » de la CPI en obtenant d’une centaine d’États la promesse juridique qu’ils ne transfèreront pas, le cas échéant, un ressortissant américain à la Cour.



C’est un geste très fort. Il faut s’imaginer les pressions qui ont été exercées sur ces États. Cette politique a fait l’objet d’un affrontement avec l’Union européenne. Les membres de la délégation américaine qui voyageaient pour obtenir ces accords-là, se faisaient parfois « devancer » par une délégation de l’Union européenne qui venait, quelques semaines avant, visiter les États concernés en leur présentant la CPI, ce qu’elle représentait, leur expliquait qu’il s’agissait d’une juridiction importante et symbolique…

Ce type de situation était impensable sur un sujet où traditionnellement le couple transatlantique exerçait une sorte de leadership moral. Il était impensable qu’une dispute aussi violente voit le jour. Non seulement l’Union européenne a interdit à ces États de signer les accords proposés par les États-Unis en y mettant des conditions qui étaient inacceptables pour les États-Unis. Un seul Etat de l’Union européenne a signé un accord avec les États-Unis : il s’agit de la Roumanie. Mais on a un doute sur la ratification de cet accord. Sinon, l’Union européenne est parvenue à préserver l’ensemble européen : aucun Etat européen n’a signé d’accord avec les États-Unis. Il ne s’agissait pas seulement d’une défense de son territoire. L’Union européenne a soutenu des ONG pour que les manœuvres américaines échouent. Parmi la centaine d’États qui ont signé un accord avec les États-Unis, on trouve beaucoup de « petits » États, d’États qui ne représentent pas une « puissance très importante ». Des États importants comme le Mexique ont résisté. Cela a créé une grande tension avec les États-Unis. Un nombre significatif d’États d’Amérique latine ont également résisté aux pressions américaines par conviction mais aussi grâce au soutien de l’Union européenne et de la Chine.

L’Union européenne, en tant qu’organisation régionale a été la première à signer un accord de coopération avec la CPI et à inclure systématiquement dans tous traités qu’elle a signé avec des États-tiers ou d’autres organisations internationales une clause favorable à la Cour.




La logique de la rupture du couple transatlantique dans l’évolution de la justice pénale internationale

Pourquoi une telle violence ? Pourquoi un tel désaccord ? Comment se fait-il qu’il y ait eu un accord transatlantique sur la mise en place d’une justice internationale pour les autres ? La Yougoslavie, le Rwanda et même d’autres juridictions mixtes comme la Sierra Leone. Comment se fait-il qu’il y ait eu un désaccord transatlantique sur la mise en place d’une justice internationale pour soi ?

Cette rupture trouve une explication assez rationnelle dans les différences de culture et de puissance entre les États-Unis et l’Union européenne.

Deux cultures juridiques différentes.

On a aux États-Unis une culture légaliste plutôt nationaliste tandis que les États européens ont une culture légaliste internationaliste.

L’identité nationale de l’Union européenne c’est le droit international, c’est le rôle du droit. L’Union européenne c’est déjà un objet juridique, c’est un objet du droit international. Or comme tout acteur, on a tendance à vouloir reproduire à l’extérieur sa propre identité nationale. L’identité nationale de l’Union européenne c’est la norme, l’intégration juridique, c’est la construction communautaire, ce sont les protections européennes. On le voit très concrètement : ce que l’on appelle la politique normative de l’Union européenne, aucune autre aire géographique n’est partie à autant de conventions internationales. Les États de l’Union européennes sont des États qui sont parties au plus grand nombre de conventions internationales. Et tout cela sous l’impulsion de l’Union européenne. Cette idée de communautariser les relations internationales, de défendre l’intégration et la coopération juridique, cela a marché pour l’Union européenne : on essaie donc de diffuser ce modèle-là, la culture légaliste à l’étranger.

Il faut dire aussi que les États européens ont l’habitude. Pour eux, la CPI est une juridiction, certes révolutionnaire, et elle n’est pas si révolutionnaire que cela, quand on connaît la puissance de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ou de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE). Les États européens connaissent l’intervention de juridictions internationales qui peuvent venir sanctionner une de leurs normes internes, ou sanctionner le comportement de leurs tribunaux nationaux vis à vis d’une personne, d’un de leurs ressortissants. Ils ont déjà une expérience d’une intervention du juge international. Créer une juridiction internationale sur des sujets aussi sensibles que des crimes de guerre, de génocide, qui habilite un juge international avec le principe de complémentarité à se prononcer sur des ressortissants de l’Union européenne c’est moins une révolution qu’un développement, pour cette aire géographique.



Les États-Unis en revanche n’ont jamais connu d’intervention de juridictions internationales. Il est même impensable qu’un juge international puisse venir censurer la Cour suprême des États-Unis. Dire à la Cour suprême : vous n’avez pas respecté une norme internationale. Sachant en plus la valeur normative des arrêts de la Cour suprême aux États-Unis. Rappelez-vous vos cours de droit administratif en France : la France a résisté longtemps à la primauté de la norme internationale sur une loi qui lui est postérieure. Aujourd’hui, il est établi qu’une norme internationale est infra-constitutionnelle mais supra-législative quelle que soit la chronologie de ces actes. Aux États-Unis, il n’en est pas question. Une loi postérieure à une convention internationale est supérieure à cette dernière. Cela montre la place du droit international aux États-Unis.

Aux États-Unis, il faut dire qu’on n’a pas connu l’invasion, l’occupation et même la menace imminente d’une invasion. Les États-Unis ont toujours été constants quant son rapport à la souveraineté. Et dès lors, les Américains rappellent souvent que ce sont les Européens qui ont changé, pas eux. Eux considèrent qu’ils ont une vision classique du droit international et du droit constitutionnel. Pour eux, ce sont les Européens qui veulent tout bouleverser.

On peut ainsi dire que nous sommes face à un conflit d’exceptionnalisme entre les deux acteurs du couple transatlantique. On parle souvent de l’exceptionnalisme américain mais l’Union européenne a aussi son propre exceptionnalisme c’est à dire un rapport à soi, un rapport à la norme qui est très particulier. Qui est par certains côtés extrême. Et la CPI correspond à l’une de ces deux cultures, et à une seule de ces deux cultures : la culture européenne. Elle ne correspond pas à la culture américaine. Ceci n’explique pas tout mais il faut le prendre en compte. Et cela relativise très profondément les espérances que l’on peut avoir de ratification à court terme de la CPI par les États-Unis. Je n’y crois guère.



Deux rapports de puissance.

Enfin, dernier point, les différences de puissance. On ne peut seulement expliquer l’opposition transatlantique sur le droit international en renvoyant aux différences de culture. Il y a aussi la question de la puissance. C’est une des lois des relations internationales que plus vous êtes puissant, moins vous êtes multilatéraliste. Pour une raison assez simple : plus vous êtes puissant, moins vous avez besoin du multilatéralisme. Attention : cela ne veut pas dire qu’une grande puissance est indifférente au multilatéralisme, au droit international. Aucun Etat dans le monde ne peut se passer aujourd’hui du droit international. Cela veut dire simplement que vous y serez d’autant plus attaché que vous êtes une puissance moyenne. Le droit c’est un vecteur qui égalise la puissance. Le multilatéralisme c’est la mise en commun de ressources, de discussions où chacun a une voix quelque soit sa puissance – mis à part quelques privilèges catégoriels ou individuels que l’on trouve par exemple dans le droit des Nations Unies. Mais dans tous les autres cas, le multilatéralisme a pour ambition d’égaliser les différences de puissance. Or plus vous êtes une grande puissance, plus vous résistez au multilatéralisme. D’autant plus que l’objet du multilatéralisme qui vous est proposé, est un multilatéralisme égalitaire. Or la CPI ne propose aucune protection catégorielle. Elle ne propose pas une dérogation pour les membres du Conseil de sécurité comme les États-Unis auraient qu’elle le fasse. Les Nations unies proposent eux un multilatéralisme qui est inégalitaire. Elles proposent une dérogation pour chaque membre permanent du Conseil de sécurité. Ce n’est pas dans la philosophie de la CPI. L’esprit de la CPI c’est : je suis indifférent à la qualité statutaire des ressortissants, je suis une sorte de dissuasion juridique égalitaire. Peu importe que vous soyez ressortissant d’une grande puissance ou d’une petite puissance : dès lors que vous avez commis un crime sur le territoire d’un Etat partie, je peux m’intéresser à vous. Peu importe que vous soyez un dirigeant ou bien un supérieur militaire. Vous ne bénéficiez d’aucune immunité.



Un mot sur le contexte enfin. Les États-Unis se sont lancés dans des aventures extérieures en Irak, en Afghanistan. La relative indifférence qu’ils auraient pu avoir à l’égard d’un multilatéralisme égalitaire, est devenue– principe de précaution oblige –une nécessité absolue de s’opposer à un multilatéralisme égalitaire en temps de guerre. Pour des affaires aussi sensibles que les crimes de guerre. Le contexte a souligné des différences de puissance entre l’Union européenne, les différences de positionnement entre les États-Unis et l’Union européenne qui voyait dans le multilatéralisme un facteur d’existence. Pourquoi ? Prenons quelques chiffres pour être plus concret : Les 27 États de l’Union européenne c’est plus de 27% des États parties à la Cour, 27 États de l’Union européenne c’est plus 60% du budget de la CPI, le nombre de postes à la CPI sont détenus à 60% par des Européens. L’influence européenne est réelle sur le plan financier, au niveau des membres, au niveau de l’assemblée des États parties. Que pensent les États-Unis ? En gros, l’Union européenne est bien ingrate ou bien hypocrite. Elle ne veut pas intervenir sur le terrain, elle ne veut pas être soldat mais elle prétend être juge ! L’Union européenne refuse d’être soldat mais elle veut s’arroger le droit d’être juge dans une institution qu’elle domine financièrement, humainement, juridiquement. Si l’Union européenne se limitait à un normatif déclaratoire, cela passerait encore. Mais il n’est pas question qu’elle défende un multilatéralisme « botté » dans un domaine aussi sensible qu’est celui de la conduite de la guerre.
Or pour l’Union européenne au contraire, le multilatéralisme peut être au moins un moyen de défendre les valeurs qui lui sont chères, d’avoir une influence minimale dans les relations internationales – cela aussi c’est de la puissance-, de développer une puissance relationnelle au grâce à ce type d’organisation qu’est la CPI.



En conclusion, je souhaite insister sur le fait que si ces différences de culture et de puissance expliquent le positionnement différent des États-Unis et de l’Union européenne vis à vis de la CPI, elles n’expliquent les excès des deux parties. Il ne s’agissait donc pas uniquement pour les États-Unis de se protéger de la CPI, de marquer leur désapprobation du modèle proposé et pour l’Union européenne de défendre son modèle. Ces excès ont considérablement heurté les intérêts des deux parties. C’est la raison pour laquelle la position des États-Unis a commencé à évoluer lors du second mandat de l’administration Bush et a tenté d’adoucir les différends.

Il n’en reste pas moins que la création de la CPI est une telle révolution qu’elle obligeait les États à se positionner. Rares auront été les sujets aussi controversés entre les alliés traditionnels que sont les États-Unis et l’Union européenne. On a assisté au choc frontal de deux exceptionnalismes. Heureusement le cœur de la dispute aujourd’hui semble être derrière nous et cela pour deux raisons :
Les États-Unis ont pris conscience du caractère excessif de leur position entre 2002 et 2005
Et les Européens eux-aussi, sans trop le dire, ont compris qu’il fallait modérer leur soutien à la CPI et trouver une sorte de modus vivendi avec les États-Unis.
Je reprends là les mots prononcés en 2005 par Javier Solana, le haut représentant de l’Union européenne. Ce modus vivendi s’est sans doute réalisé au détriment de « l’idéal » de la CPI. On constate une sorte de désenchantement quant aux possibilités de la CPI. Ce n’est pas une institution idéale, nous n’avons pas trouvé le modèle parfait du droit international. Peut-on d’ailleurs avoir l’ambition d’une justice internationale dans un monde qui n’est pas encore hiérarchisé, qui est aussi éclaté. C’est une vraie question. Car la justice est un concept qui s’accommode mal des compromis. On le voit avec la situation actuelle devant la CPI. On a du mal à admettre l’absence de poursuites dans des situations comme celle du Proche Orient, celle au Darfour – même si les situations ne sont pas comparables – comme celles en Afrique, en Afghanistan, en Géorgie.

Malheureusement, la situation est la suivante : pour exister la justice internationale a besoin du soutien des États. Or les États sont prêts à accorder leur soutien tant que cela ne heurte pas frontalement leurs intérêts. La justice doit donc faire des compromis pour exister, des compromis avec les intérêts des grandes puissances et des États intéressés. Peut-on avoir un idéal de justice avec de tels arbitrages, c’est une vraie question philosophique.

En toute hypothèse, la révolution apparaît finalement tempérée et le divorce pas totalement consommé, voire repoussé.

Merci pour votre attention.


Bibliographie récente de l’auteur :

« L’expérience mitigées des tribunaux pénaux internationaux. Les limites de la justice pénale internationale », Annuaire Français de Relations Internationales (AFRI), La documentation française, Bruylant, 2008, pp. 223-241.
« La lutte nationale contre le terrorisme et les atteintes aux libertés publiques : variations sur le USA Patriot Act » in GLENNON (Michael J.) & SUR (Serge) (eds.), Terrorisme et droit international, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, 813 p., pp. 657-687.
BELIN (Célia), FERNANDEZ (Julian) & PISAR (Leah) (eds.), The United States and the European Union : Perceptions and Challenges, Paris, L.G.D.J., Global Understanding Series, 2008, 181 p.





Cet article vient de ACAT Paris 5
http://acatparis5.free.fr/html

The URL for this story is:
http://acatparis5.free.fr/html/article.php?storyid=180