Le protocole additionnel à la Convention contre la torture : présentation

Date 31/5/2005 15:39:10 | Sujet : Nations Unies

Lieux privatifs de liberté :

la prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants va être renforcée

Avec l’adoption le 18 décembre 2002 par l’Assemblée générale des Nations unies de ce nouveau protocole facultatif pour la prévention de la torture ((127 voix pour, 4 contre et 42 abstentions), la communauté internationale dispose donc désormais d’un outil à vocation universelle qui viendra compléter les mécanismes régionaux existants mais qui devra trouver son articulation avec les dispositifs nationaux déjà en place.
Aujourd’hui, deux mécanismes régionaux de prévention sont déjà en place : celui du Conseil de l’Europe et celui de l’Organisation des États Américains.
Le protocole entrera en vigueur lorsque 20 pays l`auront ratifié.
Sa mise en œuvre :
D’une part s’inscrit dans le cadre d’un « dialogue constructif » entre les représentants du sous-comité international de la prévention de la torture des Nations Unies et ceux des États parties.
Et d’autre part repose sur l'établissement d'un système de visites régulières, effectuées par des organes internationaux et nationaux indépendants, des lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
Il n’établit pas d’obligations ou de droits nouveaux.

Plus de vingt ans d’efforts

Le Costa Rica fut le premier pays à proposer dès 1980 un premier projet de protocole facultatif à vocation universelle mais les négociations le concernant furent repoussées dans l’attente de l’adoption de Convention contre la torture par les Nations Unies (ce qui fut fait en 1984). L’Organisation des États Américains adopta sa propre convention en 1985. Puis le Conseil de l’Europe adopta en 1987 la sienne qui entra en vigueur dès 1989. Cette convention européenne donna naissance au Comité de prévention de la torture (CPT) dont les représentants visitent régulièrement les lieux privatifs de liberté dans les pays membres du Conseil de l’Europe (y compris donc la Turquie) depuis plusieurs années. En revanche, la Convention interaméricaine n’a pas prévu de système de visites mais uniquement un dispositif de rapports.
Dix ans de travail seront nécessaires au sein du groupe de travail chargé de rédiger le protocole facultatif avant que celui-ci soit adopté d’abord par la Commission des droits de l’homme le 25 avril 2002 (29 voix pour, 10 voix contre et 14 abstentions), puis par le Conseil économique et social le 24 juillet 2002 (35 voix pour, 8 contre et 10 abstentions) et enfin par le troisième comité de l’Assemblée générale spécialisé dans l’examen de questions sociales, humanitaires et culturelles, le 7 novembre 2002 (104 voix pour, 8 contre et 37 abstentions) avant son adoption par l’Assemblée générale elle-même.

Le texte du protocole

Le protocole facultatif est constitué d’un préambule et de sept grandes parties. La première partie présente les obligations principales des États parties vis-à-vis des mécanismes tant nationaux qu’internationaux. La deuxième partie concerne la création d’un organisme international, « Le sous-comité » et expose la procédure d’élection des membres ainsi que son fonctionnement général. La troisième partie est dédiée au mandat du sous-comité de la prévention. Quant à la quatrième partie, elle fixe l’obligation pour les États parties de mettre en place un ou plusieurs mécanismes nationaux de prévention et définit le mandat, les garanties et les pouvoirs qui doivent lui/leur être attribués ; La cinquième partie expose la possibilité pour les États parties de se retirer momentanément soit de la troisième partie (les sous-comité international), soit de la quatrième (concernant les mécanismes nationaux de prévention) du protocole facultatif mais pas des deux. La sixième partie concerne les dispositions financières et prévoit la création d’un fonds spécial pour aider les États parties à répondre aux recommandations résultant des visites du sous-comité et à financer les programmes d’éducation des mécanismes nationaux de prévention. La septième partie est dédiée aux dispositions concernant l’entrée en vigueur du protocole facultatif, son champ d’application et les exigences de coopération avec d’autres organes.

L’universalité constitue l’apport essentiel de ce protocole

Pour de nombreuses associations des droits de l’homme opérant hors du cadre régional du Conseil de l’Europe, le Comité européen de prévention de la torture reste une référence très enviée. Pour ces associations issues des pays africains, du Moyen Orient et de l’Asie qui ne peuvent appuyer leur action ni sur un mécanisme national ni sur un mécanisme régional, la mise en place effective de ce nouveau protocole est donc très attendue. Que le protocole ait prévu la mise en place d’un fonds spécial d’aide constitue également une avancée significative.
Seuls 4 pays ayant voté contre au niveau de l’Assemblée générale des Nations Unis, , la probabilité d’une mise en œuvre rapide du protocole reste élevée.

Le mécanisme national devrait être au cœur du dispositif

Même si celui-ci est mandaté pour réaliser des visites régulières, il est difficile aujourd’hui d’estimer quel sera l’apport effectif direct du sous-comité international, celui n’ayant pas vocation à publier le rapport de ses visites. Seul un rapport général annuel du sous-comité destiné au Comité contre la torture sera rendu public. En revanche, les États parties s’engagent à publier le rapport annuel du mécanisme national. Le contenu de ce rapport n’étant pas précisé, on peut en déduire que les comptes-rendus de visites pourraient figurer dans ce rapport.

Professionnalisme et indépendance

Les rédacteurs ont prévu d’assurer le professionnalisme des membres du sous-comité en exigeant que les candidats soient choisis parmi des personnalités de haute moralité ayant une expérience professionnelle reconnue dans le domaine de l’administration de la justice. Cette précision vise à écarter de ce comité notamment les représentants diplomatiques. Quant au mécanisme national, son fonctionnement doit être conformes à ce qui est désormais convenu d’appeler « Les Principes de Paris » qui ont fait l’objet d’une résolution qui a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1993. Les Principes de Paris appellent notamment les gouvernements à créer des institutions qui peuvent examiner librement toutes les questions relatives aux droits de l'homme, de leur propre initiative, sur proposition du gouvernement et à la demande de « tout requérant ».

Les questions en suspens

Ce nouveau mécanisme engendre un ensemble de questions à caractère organisationnel pour lesquelles ses futurs responsables devront inventer des solutions pragmatiques.
En effet, dans le cadre de ce nouveau dispositif, chacun des intervenants de cette nouvelle chaîne devra trouver sa place. On doit souhaiter que les relations « verticales » entre :les mécanismes nationaux, le sous-comité pour la prévention et le comité contre la torture s’inscrivent dans un esprit de dialogue constructif. De même, il faut espérer que les relations « horizontales » avec les mécanismes régionaux notamment avec le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe et l’ensemble des acteurs du protocole facultatif, puissent s’établir sur la base d’une coopération sincère.
Ce qui reste plus difficile à évaluer, c’est le sort que réservera les différents États parties aux mécanismes nationaux pré-existants lorsqu’il s’agira de mettre en place le protocole. Profiteront-ils de l’occasion qui leur est offerte d’élargir les compétences de leurs mécanismes nationaux ? Ou bien opteront-ils plutôt pour une révision à la baisse de leurs prérogatives ?
En France, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), dont la création est toute récente, va se retrouver propulsée au centre du débat lorsqu’il s’agira de mettre en place le mécanisme national français.
Aujourd’hui, la CNDS dispose d’un champ d’intervention plus large puisqu’il n’est pas limité aux seuls lieux privatifs de liberté et elle possède des pouvoirs d’enquête administrative. En revanche, il n’entre pas dans les fonctions de la CNDS de procéder à des visites des lieux privatifs de liberté sans saisine préalable par un parlementaire sur un cas précis.
Quant aux parlementaires français qui disposent d’un droit de visite depuis 2000 des lieux privatifs de liberté, il faudra s’assurer que ceux-ci ne soient pas démotivés par la création d’un mécanisme national ad hoc.

Jean-Marc Peyron
Mai 2005



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