Le procès de Nuremberg par Annette Wieviorka

Date 18/6/2007 16:11:30 | Sujet : Génocide

Transcription de la conférence du 8 février 1997 à l’initiative de l’ACAT Paris V à l’espace Candolle (Paris 5).

Annette Wieviorka est d’origine juive-polonaise. En tant qu’historienne et directrice de recherche au CNRS, elle est responsable de la politique éditoriale des éditions du CNRS. Elle a écrit plusieurs ouvrages : « Déportation et génocide », « Le livre du souvenir », « Le procès Eichmann », et elle a été coordinatrice de « Les procès de Nuremberg et de Tokyo » (colloque tenu en 1995 au Mémorial de Caen).

Nous avons organisé à Caen un colloque sur les procès de Nuremberg et de Tokyo, qui était le premier colloque d’historiens organisé en France sur ces thèmes. Ce colloque avait en fait pour objectifs de mieux comprendre, d’abord comment était née l’idée d’établir un tribunal international pour juger les criminels de guerre de la seconde guerre mondiale, et ensuite de tracer quelques voies, pour tenter là aussi de comprendre quelle avait été la postérité de ce grand procès. Les historiens qui ont parlé de la genèse de ce tribunal se sont penchés sur la guerre mondiale précédant la seconde guerre mondiale qui est, bien évidemment, la première guerre mondiale.


Ils ont mis en évidence :

Premièrement : à partir de la fin du XIX ème siècle/début du XX ème, on avait commencé à essayer d’ établir un droit de la guerre. C’est-à-dire qu’on avait tenté de limiter un certain nombre de violences ou de crimes liés à la guerre. Et pour l’essentiel, on avait tenté de protéger les prisonniers de guerre, et on avait tenté de protéger les populations civiles de la guerre . Cette naissance d’un droit international, qu’on connaît pour l’essentiel par le Convention de la Haye de 1907, n’a pas empêché le déclenchement d’un conflit qui a été un conflit, premièrement extrêmement meurtrier pour l’Europe, mais aussi un conflit qui a vu naître finalement des formes de guerre qu’on appelle la guerre totale. C’est-à-dire un conflit où certes ce sont les militaires qui meurent d’abord, mais où les populations civiles sont aussi touchées. Par exemple, dans le Nord de la France, on a déporté pour le travail forcé. Le Nord de la France étant à l’époque occupé par les Allemands. On a commencé à bombarder les villes, et vous savez que les bombardements touchent aussi bien les civils que les militaires. C’est donc au sein de cette guerre de 14/18 que va se prolonger une réflexion qui existait déjà au paravent et que va naître l’idée qu’il faut juger et le responsable de la guerre (en l’occurrence pour les alliés victorieux Guillaume II) et les criminels de guerre. Ces mesures sont inscrites dans le traité de Versailles où un certain nombre d’articles prévoient les deux choses : la mise en jugement de Guillaume II, le procès (vous le savez) n’aura jamais lieu. Il n’a jamais eu lieu parce que Guillaume II s’était réfugié aux Pays Bas, parce qu’il existait encore en Europe un certain nombre de monarchies, et que les Pays Bas ont refusé de l’extrader et de le livrer aux alliés. Guillaume II est mort en 1941 sans que son existence après 1918/1919 ait suscité le moindre intérêt.


En revanche, on a bien jugé des criminels de guerre, dans une série de procès qui ont eu lieu à Leipzig et qui ont été très largement une mascarade. Ce qui est intéressant de noter c’est que ces procès ont lieu en Allemagne, donc que les accusés étaient chez eux, avec des tribunaux allemands. Les accusés étaient en phase avec l’opinion publique allemande de l’époque. Et ces procès de Leipzig, qu’a étudié notre meilleur historien de la Première Guerre Mondiale qui s’appelle Jean-Jacques Becker, ont été en effet une mascarade. Ce que Jean-Jacques Becker pointait aussi dans sa communication de 1995 c’est que la France n’avait gardé aucun souvenir de ces procès. Et qu’il était le premier (enfin il ne l’a pas dit comme cela parce que c’est un homme modeste), mais il a été le premier à écrire en français sur ces procès. En revanche, les Anglais, qui étaient ceux qui tenaient le plus à ce que les criminels de guerre fussent jugés, les Anglais avaient bien gardé en mémoire l’existence de ces procès.

Et c’est dans la foulée de ce qui avait commencé à être élaboré en 1914/1918, et qui n’avait pas abouti, que la réflexion a été menée pendant la seconde guerre mondiale sur ce qu’il fallait faire avec ceux qui commettaient des crimes. Cette réflexion a été menée à Londres où se trouvait en grande partie des gouvernements en exil (le gouvernement polonais par exemple ; la France libre , sans entrer dans les détails de ces dénominations successives.), et dès 1941 (c’est-à–dire, dès l’invasion de l’Union soviétique par la Wehrmacht qui a été suivie , par ce qu’on appelait les groupes mobiles de tuerie qui ont procédé à des massacres à très grande échelle. Des millions de juifs ont été massacrés sur les arrières de la Wehrmacht en Union Soviétique).


Les nouvelles de ces massacres sont parvenues à Londres et une première déclaration de ce qui l’on appelait les Nations unies, c’est-à-dire les alliés de cette guerre, a parlé de punir ceux qui s’étaient livrés à de tels massacres. L’information, notamment sur l’Europe de l’Est, est toujours parvenue à Londres, par, en particulier, les courriers clandestins de la résistance polonaise. C’est ainsi qu’on a connu la situation qui était celle qui règnait à l’intérieur du ghetto de Varsovie. C’est ainsi que l’on a connu en juillet 1942 les déportations massives de 300 000 Juifs de Varsovie vers Treblinka (sans que l’on connaisse exactement le processus de mise à mort par les chambres à gaz) et qu’on a connu aussi (si on reste sur la question de la situation du ghetto de Varsovie) l’insurrection d’avril 1943, et la liquidation totale ce qu’a été ce ghetto. Donc les alliés ont commencé à réfléchir, et le texte qui est déterminant en ce qui concerne le tribunal de Nuremberg, c’est la déclaration de Moscou de l’automne 1943. Cette déclaration de Moscou est une déclaration élaborée par les ministres des affaires étrangères des trois grands alliés de l’époque (Union Soviétique, Royaume-Uni, Etats-Unis) et contre-signée par Churchill, Roosevelt et Staline. Cette déclaration distingue deux types de criminels :

Les grands criminels (major en anglais) qui ne sont pas grands par la nature de leurs crimes, mais qui sont grands parce qu’ils ont commis leur crime dans plusieurs pays. Avoir commis son crime dans plusieurs pays, cela veut dire être dans une position hiérarchique suffisamment élevée, donc assez haut dans l’appareil de l’Etat, pour avoir la capacité de donner des ordres criminels qui s’appliquent à plusieurs pays.


Les autres criminels qui ont commis leur crime dans un seul pays. Les criminels qui ont commis leur crime dans un seul pays devront (d’après la déclaration de Moscou), être jugés dans le pays où ils ont commis leur crime. Je peux dire tout de suite (et après on en parlera plus de ces criminels), ce qui s’est passé. Je vais donner un seul exemple pour montrer qu’ils n’étaient pas nécessairement de petits criminels au sen moral du crime : Rudolf Hoess, qui a été le commandant du camps d’Auschwitz, qui est l’homme qui a installé à Birkenau des énormes crématoires et chambres à gaz, qui ont fait d’Auschwitz/Birkenau le plus grand centre de mise à mort que l’histoire n’ait jamais connu. Qui ensuite est parti, mais qui est revenu rappelé à Birkenau quand les Juifs Hongrois ont été déportés à partir de mai 1944, parce qu’il fallait mettre à mort plusieurs centaines de milliers de personnes et que Rudolf Hoess était le seul capable de faire ce travail. Rudolf Hoess a été jugé en Pologne, condamné à mort, et pendu à Auschwitz même. Pour moi, je ne dis pas que Rudolf Hoess était un petit criminel. Mais c’est un criminel dont les crimes, pour l’essentiel, ont été commis en Pologne, et pour l’essentiel à Auschwitz/Birkenau.

Les autres, ceux que l’on appelle donc les grands criminels, devront être jugés par une décision des alliés. Il n’est pas précisé quel sera le type de décision. Et jusque à peu près mai 1945, on hésite. Contrairement à ce que l’on entend dire parfois, le plus réticent pour un procès n’était pas Staline mais Churchill. L’idée de Churchill était très simple : on crée (ce qui d’ailleurs a été fait) une commission pour les crimes de guerre, on dresse des listes, on a des preuves, et quand on tombe sur l’un de ces criminels, on s’assure de son identité et on le fusille. Il y avait-là le souvenir de la farce des procès de Leipzig, et l’idée qu’un procès n’était peut-être pas une bonne chose, puisqu’on n’était pas parvenu à juger Guillaume II, et qu’on arriverait peut-être pas à juger de façon satisfaisante les criminels de guerre du Troisième Reich.


Petit à petit, je ne vais pas rentrer trop dans les détails, petit à petit, et surtout grâce aux Américains, grâce à Truman et à l’homme qui avait désigné qui s’appelle Robert Jackson, qui a été le procureur américain et qui a été la véritable cheville ouvrière du grand procès de Nuremberg. L’idée se fait jour qu’il y aura un procès international, qu’il faut mettre sur pied un tribunal international, un tribunal militaire international (le terme militaire n’a pas grand sens ici), et les quatre alliés se réunissent à Londres, pour déterminer quel doit être le statut de ce tribunal, la charte de ce tribunal et qui doit être jugé par ce tribunal.

Les vues des quatre alliés sont différentes les unes des autres. Pour les Américains, le chef d’accusation principal doit être ce qu’ils appellent la « conspiracy », c’est-à-dire le complot. L’idée des Américains c’est qu’il faut mettre en accusation les plus hauts responsables du régime nazi pour avoir comploté contre la paix, qui ont entraîné des crimes de guerre. Donc au cœur de l’accusation, pour les Américains, le complot et le crime contre la paix. Les Américains estiment qu’entre les deux guerres, il y a eu un certain nombre de textes, notamment un accord international qu’on appelle le pacte Briand/Kellog qui a mis la guerre hors la loi, et que celui qui a déclenché une guerre d’agression, doit être puni. Il y a chez les Américains l’idée que les « Boys » ont dû traverser par deux fois l’Atlantique pour venir sauver la démocratie européenne et disons planétaire et qu’il ne faut plus qu’il y ait de guerre. Il y a une petite once d’utopie, et je crois qu’après les guerres mondiales, il y a un très petit temps toujours où il y a une sorte d’utopie, une vision un peu millénariste : on a souffert, les gens sont morts mais ils sont morts pour qu’il n’y ait plus jamais çà. 14/18 a été la der des der, certains déportés survivants ont dit que leur sacrifice n’avait pas été vain puisqu’il y aurait, comme on disait, plus jamais çà. Donc il y a un peu de cette utopie.


Les Français et les Soviétiques ne sont pas d’accord avec cette façon de concevoir le procès. Pour les Français et les Soviétiques, ce qui compte, ce sont les crimes et ce sont les crimes qui ont été commis chez eux. La grande différence entre les Etats-Unis, et même la Grande Bretagne, et la France et l’Union Soviétique, c’est la France et l’Union Soviétique ont été des pays occupés, ont été des pays sur lesquels ont été commis des crimes. Oradour sur Glane étant dans ces années-là pour la France emblématique de la barbarie nazie, mais il y a la déportation, il y a le service du travail obligatoire, il y a les villages détruits, il y a le pillage de la France, la germanisation de l’Alsace et de la Moselle. Et pour l’Union Soviétique, si on prend simplement la Biélorussie, la Biélorussie a connue environ 2 000 villages détruits, 2 000 Oradour sur Glane. Donc pour eux, c’est cela qui compte.

Les discussions vont être extrêmement rudes entre les alliés. On connaît bien maintenant le contenu de ces discussions, et finalement, les Français étaient très hostiles à l’idée de « conspiracy », de complot contre la paix, qu’ils estimaient que déclencher une guerre n’était pas criminel, mais que la guerre était criminelle parce que à la suite de cette guerre des crimes avaient été commis, les Français cèdent (de toute façon, les Français sont inexistants dans la préparation du procès de Nuremberg : il y a un juge français qui s’appelle Robert Falco alors que la délégation américaine est composée de centaines de personnes).


Et on trouve un compromis sur quatre chefs d’accusation (trois ou quatre selon la manière dont considère les choses) :

Conspiration et complot contre la paix

Crimes de guerre

Un nouveau crime qui est extrêmement discuté qui est le crime contre l’humanité

Mais, et je crois que les questions qui nous préoccupent aujourd’hui, le crime contre l’humanité qui devait en principe servir à inculper ceux dont on pensait qu’ils étaient responsables des persécutions contre les Juifs et du génocide. Le crime contre l’humanité est verrouillé. C’est-à-dire que le crime contre l’humanité n’existe pas tout seul, mais il n’existe que s’il a été mis en relation avec l’un des trois autres chefs d’accusation. Il ne peut donc avoir de crimes contre l’humanité que si ce crime a été commis en relation avec le complot contre la paix, la guerre d’agression ou le crime de guerre. C’est très important parce que pour la France, jusqu’à la réforme du code pénal, le crime contre l’humanité n’existait qu’en relation avec le déclenchement de la guerre. Cela voulait dire qu’il était impossible d’inculper pour crime contre l’humanité des responsables de la répression de la révolte de Madagascar. Donc quelque chose là était complètement verrouillé, et que le droit (qu’on a appelé de droit de Nuremberg) était un droit qui ne pouvait concerner que la guerre 39/45. L’autre chose importante, c’est que ce crime contre l’humanité, en ce qui concerne l’Allemagne nazie, ne pouvait concerner que la criminalité après le déclenchement de la guerre. Ce qui signifie que toutes les persécutions antérieures à la guerre ne pouvaient pas faire l’objet de condamnations.


Il a fallu ensuite choisir les inculpés. Aujourd’hui on a tous imprimé dans la mémoire les deux bancs de la salle de Nuremberg où ils sont tous alignés, et on a le sentiment qu’il ne pouvait pas en avoir d’autres. Or, ils ont été choisis de deux façons :

La première façon, c’est que l’on a choisi ceux qu’on avait entre les mains, c’est- à-dire ceux qui avaient été faits prisonniers par les alliés. Ont échappé ainsi ceux d’abord qui s’étaient suicidés ( et par les très grands Hitler bien évidemment, Goebbels, et peut –être surtout Himmler qui est vraiment l’homme responsable et de la criminalité dans l’univers concentrationnaire et du génocide des Juifs), et un certain nombre d’autres dont on ne voyait pas très bien le rôle.

La deuxième conséquence, c’est que on est dans une négociation internationale : entre les alliés tout n’est pas calme et tranquille. On est peut-être dans les prémices de la guerre froide. Or les Soviétiques n’ont pas grand monde entre les mains. Pour leur faire plaisir, on accepte un prisonnier notamment qui s’appelle Hans Fritsche (dont vous avez probablement oublié le nom) qui était juste un petit propagandiste des services de Goebbels, de façon à ce que les Soviétiques puissent aussi avoir leur lot de criminels de guerre.


Le procès va s’ouvrir à Nuremberg le 20 novembre 1945, après une séance solennelle où les actes d’accusation sont remis à Berlin pour faire plaisir aux Soviétiques (les Soviétiques souhaitaient que le procès se tienne dans leur zone). C’est un procès qui va durer près d’une année. C’est un procès tout à fait exemplaire, un procès qui est fait selon la procédure judiciaire anglo-saxonne, qui veut que l’accusé est témoin à son propre procès. Un procès que le juge Jackson a construit comme devant être historique, c’est la civilisation qui est à la barre, et qu’il a voulu fondé non sur une multitude de témoignages, mais fondé sur des documents. Ce qui fait que c’est un procès où tout le monde s’ennuie beaucoup, et où les journalistes (notamment ceux de la presse française) font un petit tour et puis rentrent très vite, parce que c’est long, parce que c’est tatillon. Mais, pour l’histoire, c’est vraiment une grande chose que le procès ait été un procès de ce type, parce que cela a mis à jour une extraordinaire documentation, et que cela a permis de mettre en lumière un certain nombre de choses qu’un procès plus spectaculaire, qu’un procès spectacle.

À l’issue de ce procès, onze des inculpés (ils étaient 24 au départ, 21 physiquement présents : au départ on voulait quelqu’un représentant la machine industrielle, et on avait trouvé Alfred Krupp, et on s’était rendu compte qu’on s’était trompé, qu’on avait pris le père, qui était sénile, alors que les affaires étaient depuis un moment dans les mains du fils. Là il y a eu toute une discussion pour savoir si on allait faire comparaître cet homme sénile, si on pouvait changer de nom en cours de route, enfin bref, finalement ça été abandonné. Et puis l’homme qui avait été à la tête de ce que l’on appelait le Front allemand du travail, qui s’appelait Robert Ley, quand il a lu l’acte d’accusation, il a sombré dans un état de très intense agitation et il s’est suicidé.


Et puis le dernier qui a été jugé par contumace, (ce qui semble contraire aux principes du droit mais je ne suis pas juriste mais historienne) c’est Martin Bormann qui sera condamné à mort. Il y eu onze condamnations à mort, un certain nombre d’acquittements (dont Hans Fritzsche ), et des peines de prison à temps, de 20 ans à la perpétuité, qui sont purgées dans une prison qui se trouve dans la zone d’occupation britannique de Berlin, qui est la prison de Spandau où est mort le dernier des accusés en 1987 qui était Rudolf Hess (qu’il ne faut pas confondre avec Hoess), et la prison a été ensuite rasée.

Quel bilan tirer du procès de Nuremberg ? J’ai entendu beaucoup de gens attribuer cette formule d’un juriste qui est excellente : il s’est demandé si Nuremberg était un moment du droit , ou le droit d’un moment. Car jusqu’à la chute du mur de Berlin, c’est-à-dire jusqu’à un profond remaniement du paysage international, il n’y a rien eu. Et on a pu croire que ce très, très grand procès, était un procès unique. C’est un procès qui a été aussi largement critiqué. Les critiques ne sont pas injustifiées.

La première de ces critiques a été que c’était le droit d’un vainqueur. Or on peut se demander comment le droit peut être autre chose que le droit de celui qui dispose de la force publique. Et on peut se demander s’il n’y avait pas eu de vainqueur ce que seraient devenus l’Europe et le monde. Donc pour moi, il me semble que c’est une fausse critique, quoiqu’il aurait été possible d’imaginer d’autres solutions. Par exemple, les neutres, mais qu’est-ce que çà veut dire « neutre » en 39/45 , Aujourd’hui on se rend compte par exemple que pour la Suisse, la Suède (qui étaient parmi les neutres) c’était une neutralité qui n’était pas entièrement neutre sous tous ses aspects.


Donc la notion de neutralité en 39/45 est une notion fort compliquée en ce qui concerne l’Europe. On aurait pu faire participer ce qu’on appelle la bonne Allemagne (c’est-à-dire l’Allemagne de l’immigration). Cela aurait été une possibilité, mais finalement , les alliés qui avaient gagné la guerre ont rendu une justice. Ils l’ont rendue de façon loyale. Les accusés ont été réellement défendus, par de vrais avocats. Il avait été décidé qu’on ne pouvait être avocat si on avait été membre du parti nazi. Or il y a eu parmi ces avocats un certain nombre de membres du parti nazi, et on a fermé les yeux. Certains de ces avocats, je pense notamment aux avocats des amiraux, ont été absolument extraordinaires et ont eu gain de cause. L’un d’eux a démontré, a exigé une déclaration de Mc Arthur pour montrer que dans le Pacifique la flotte américaine s’était comporté exactement comme la flotte allemande, et sur ce point-là, il a gagné. Cela veut donc dire qu’il y a eu un vrai procès, avec de vrais avocats, qui ont eu de vrais moyens pour défendre les accusés.

La deuxième grande accusation c’est la présence de l’Union Soviétique. Cette présence se focalise autour de deux choses. La première : le pacte germano-soviétique dont le protocole secret est dévoilé au procès de Nuremberg. Or, le protocole secret du pacte germano-soviétique, c’est quelque chose de très grave, parce que ce protocole secret montre finalement que Hitler et Staline s’entendent pour envahir la Pologne et que Staline va récupérer la Transylvanie, et un certain nombre d’autres zones. Donc cela met en péril le premier chef d’accusation, la guerre d’agression. Puisque la guerre commence avec l’invasion de la Pologne, si l’Union Soviétique envahit la Pologne 17 jours après l’Allemagne, l’Union Soviétique pourrait être accusée elle aussi d’agression. Le deuxième problème, c’est le problème très douloureux de Katine. Les Soviétiques exigent des Américains que Katine soit porté sur l’acte d’accusation, et que les Allemands soient accusés du massacre de 4 000 officiers polonais retrouvés dans la fosse dans la forêt près de Smolensk. Et c’est inscrit.


Alors qu’aujourd’hui, on le sait avec précision : Churchill savait pertinemment au moment de la découverte de ces charniers que ces Polonais avaient été exécutés par le NKVD. On ne savait pas que l’ordre venait directement de Staline (j’en profite, parce qu’il y a plein de polémiques sur les archives. Pour les historiens, les archives sont indispensables. Les archives ne révèlent jamais tout. Mais, les historiens ont bien fait leur travail : Katine, on savait ce qui s’était passé. Ce qu’a permis l’ouverture des archives soviétiques, c’est de voir que l’ordre venait directement de Staline. C’est Staline qui avait signé l’ordre. Çà c’est un apport de l’ouverture des archives. Mais comment cela s’était passé, à la limite on n’avait pratiquement pas besoin de l’ouverture des archives soviétiques pour savoir exactement comment les choses s’étaient passées). Katine va être traité, là encore, loyalement au procès, puisqu’il va y avoir trois témoins de l’accusation, trois témoins de la défense, et que ces témoignages feront que tout observateur non englué dans l’idéologie pouvait voir à l’évidence que les officiers polonais avaient été massacrés en 40, alors que les Soviétiques occupaient l’endroit, et dans le jugement, Katine disparaît. Ce qui est en somme un aveu de la culpabilité soviétique dans cette affaire-là.

Il n’en reste pas moins que malgré ces limites, on peut quand même considérer que Nuremberg a été un grand procès, que cela a été indispensable pour punir d’abord une partie des responsables, que l’on a visé haut (ce qui est rare). Parce que ce sera peut-être un deuxième question que je permettrai de poser, qui est le problème pour ces tribunaux internationaux, c’este le niveau de la responsabilité. Quel est le niveau ? La tendance n’est-elle pas de punir ceux qui ont directement mis la main au crime, et en faisant que ceux qui en sont responsables, échappent au jugement. Nuremberg est un procès où on a frappé à la tête.


Nuremberg, (et je vais m’arrêter là), n’a pas été le seul procès, celui-là, celui du tribunal. Il y eu ensuite toujours à Nuremberg, mais organisés par les seuls Américains , des procès successeurs, ou procès des professionnels : procès des médecins nazis, procès de ceux qui avaient commandé ces groupes qui ont massacré, procès des industriels (et là on retrouve Krupp), procès des généraux etc. Donc un certain nombre de procès que l’on appelait les procès successeurs et qui ont eu lieu aussi à Nuremberg sous tribunal américain. Ensuite, il y a eu une multitude de procès dans les pays occupés : En France par exemple, Barbie a été condamné à mort par contumace dans les années d’après guerre. Et à partir de la fin des années 50, une reprise de procédures judiciaires, par des tribunaux nationaux aussi bien en Allemagne qu’en France, avec l’imprescriptibilité des crimes de guerre qui est votée en France par le Parlement, et qui a des différentes suivant les droits de chacun des pays avant l’être finalement adopté par l’ONU.



Pour en savoir plus

Annette Wieviorka

Le Procès de Nuremberg

288 pages environ — 12 x 18 cm — Broché
isbn 2-86746-420-X — Prix public : 10€

Editeur : Liana Levi

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