Convention contre les disparitions forcées par O. de Frouville

Date 18/6/2007 16:11:46 | Sujet : Les Nations Unies

Transcription de la conférence publique du 11 mai 2006 organisée par l’ACAT Paris V, en association avec l'ERF Port-Royal-Quartier Latin, à la Maison fraternelle (Paris V).

L’ACAT Paris V remercie vivement Monsieur Olivier de Frouville pour son intervention.
Je suis heureux de pouvoir intervenir sur ce projet dans la mesure où celui-ci reste encore mal connu. Si j’ai bien participé, et je ne suis pas le seul bien sûr, au groupe de travail en charge de l’élaboration de ce projet de convention, je n’ai pas été associé pour autant à l’ensemble des travaux préparatoires qui se sont étendus sur une période de 25 ans.
J’ai commencé à prendre part aux réunions des ONG concernant ce projet à partir de 1998 au titre de la FIDH ; puis par la suite j’ai été associé au groupe de travail créé par la Commission des droits de l’homme de l’ONU.



Quelle définition donner aux disparitions forcées ?

Vous connaissez le schéma classique : on vient chercher quelqu’un à son domicile au petit matin ou bien on arrête quelqu’un dans la rue devant témoins sans respecter aucune forme légale (mandat d’arrêt par exemple) – la personne est emmenée et elle ne revient pas- le soir puis le lendemain la famille commence sérieusement à s’inquiéter – se rend au commissariat ou à la caserne de gendarmerie- et même si la famille ou les proches reconnaissent les gendarmes qui ont procédé à l’interpellation, ceux-ci déclarent alors qu’ils n’ont jamais vu cette personne- les policiers ou les gendarmes souvent renversent l’accusation en insinuant que la personne en question en réalité se cacherait et/ou aurait regagné le maquis et/ou ferait partie d’un groupe terroriste – et que « l’affaire » aurait été montée de toute pièce par la famille de la personne soit-disant « disparue ».
C’est en réalité une pratique de répression bien codifiée (même si elle n’a pas fait, à ma connaissance, l’objet de publication scientifique à ce jour).


La seule codification existante est celle réalisée par le régime nazi : il s’agit du décret « Nacht und Nebel » (Nuit et Brouillard) signé le 7 décembre 1941 par le maréchal Wilhelm Keitel ( Note du transcripteur : ce décret ordonne la déportation pour tous les ennemis ou opposants du Reich). Il était explicitement précisé dans ce décret que les autorités ne devaient en aucun cas divulguer des informations sur le sort des personnes interpellées en vue de créer un climat de terreur au sein de la population. Il s’agissait donc de faire pression sur les familles et les proches des victimes et de supprimer les opposants de façon discrète afin de ne pas leur donner l’opportunité de s’exprimer publiquement lors d’un procès par exemple.
Cette technique a été par la suite lors des guerres coloniales puis exportée avec grand succès en Amérique latine dans les années 70 notamment en Argentine qui détient le triste record de disparus dont le nombre est évalué à 17 000. La pratique s’est élargie par de nombreux régimes autoritaires.
Cette pratique a été identifiée au départ par les familles de disparus qui ont mis en évidence les traits caractéristiques de ce mode de répression. L’information a été transmise ensuite à différentes ONG qui ont en fait état au sein de différentes instances internationales comme l’Organisation des États Américains. Cette dénonciation s’est organisée dès 1981 autour de la Fédération latino-américaine des associations des familles des détenus disparus. Cette structuration de la dénonciation s’est depuis poursuivie sur plusieurs continents (Asie, Afrique etc.). Toutefois, le développement du réseau africain reste encore très limité.


Dès 1974, les associations latino-américaines ont obtenu un premier « succès » devant la Commission des droits de l’homme des Nations unies (aujourd’hui remplacée par le Conseil des droits de l’homme) contre le Chili en obtenant la mise en place d’une commission d’enquête concernant ce que l’on appelait selon la terminologie de l’époque « les personnes manquantes ». Au début des 80, la pratique des disparitions se répand en Argentine qui bénéficie alors d’une double protection : celle des États Unis et celle de l’Union soviétique.
L’insuccès des démarches envers l’Argentine va en fin de compte permettre le lancement d’une nouvelle catégorie de procédures au sein des Nations unies baptisée « les procédures thématiques » au travers de la création d’un groupe de travail chargé de saisir en urgence les gouvernements de plaintes concernant des personnes disparues. Les ONG quant à elles vont continuer à réaliser un travail normatif consistant à définir précisément sur le plan juridique le concept de disparition qui se caractérise par une arrestation arbitraire, une privation de liberté plus ou moins longue qui est souvent suivie d’une exécution extra-judiciaire.
Ces éléments constitutifs d’une disparition entrent de plain pied dans le champ couvert par Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) de 1966.
L’un des éléments essentiels constitutif de la disparition c’est le déni de la disparition, le refus d’informer les familles du sort des personnes qui en sont victimes.


C’est l’ensemble de ces éléments qui ont joué en faveur de l’élaboration d’un nouvel outil conventionnel au sein des Nations unies spécifiquement dédié aux disparitions forcées.
Le premier pas en faveur de l’élaboration d’un nouvel outil c’est l’adoption en 1992 de la déclaration des Nations unies pour la protection des personnes contre les disparitions forcées. Ce processus de « petits pas » est assez habituel au sein de l’institution onusienne dans la mesure où l’expérience a démontré qu’il était très difficile d’obtenir d’entrée de jeu l’adoption d’une convention. À la suite de l’adoption de cette déclaration, les ONG ont finalement un chargé de mission d’Amnesty, Frederico Andrew-Guzman, de rédiger un projet de convention. Une réunion a été ensuite montée réunissant toutes les personnes intéressées : les membres du groupe de travail de l’ONU, les membres concernés de la sous-commission des droits de l’homme des Nations unies (composée d’experts et chargée d’aider les travaux de la Commission des droits de l’homme) et en particulier le magistrat Louis Joinet qui a l’époque était l’expert français au sein de cette sous-commission. Louis Joinet s’est attaché à présenter jusqu’en 2000 à la sous-commission l’avancement de la rédaction de la convention.


Ce projet a finalement été présenté à la Commission des droits de l’homme et a « erré » pendant deux ans jusqu’en 2001. La France a alors pris l’initiative de proposer à la Commission des droits de l’homme la création d’un groupe de travail chargé de rédiger le texte définitif de la convention. Plusieurs États se sont montrés réticents à cette démarche estimant que le nombre de conventions déjà existantes était très élevé et ce qui faisait le plus défaut c’était le contrôle de leur mise en œuvre. Des exemples de projets en cours (protocole additionnel à la Convention contre la torture notamment ) qui n’avaient pas encore abouti, les renforçaient dans leur intransigeance. L’autre argument utilisé contre l’adoption d’une nouvelle convention portait sur la création du groupe d’expert préconisé par le projet de convention. Pour plusieurs États membres, le nombre de groupes d’experts qui s’élevait déjà sept, était largement suffisant si ce n’est pléthorique. Pour ceux-ci, il était temps de diminuer le nombre de groupes d’experts et de les regrouper au sein d’un seul « super comité » et donc il fallait à tout prix éviter de créer un nouveau groupe d’experts.
La Commission des droits de l’homme a donc décidé de temporiser et a chargé un expert autrichien , le Professeur Manfred Nowak, pour savoir si des lacunes en matière de droit international concernant les disparitions forcées, existaient. Elle a également créé un groupe d’expert qui devra travailler non pas sur le projet transmis par la sous-commission mais ex-nihilo. En 2002, Manfred Nowak remet son rapport qui met en évidence les lacunes du droit international et en 2003 le groupe de travail commence ces travaux sous la présidence de l’Ambassadeur de France M. Bernard Kessedjian.


Les ONG sont admises à participer aux travaux, à intervenir de façon assez libre mais sans pouvoir prendre part aux décisions. Toutes les ONG internationales étaient présentes. Si la France ainsi que le groupe onusien de l’Amérique latine (dont les représentants avaient vécu la répression des régimes dictatoriaux) étaient en faveur de cette convention, les pays asiatiques (en tout premier lieu la Chine) et l’Inde avaient tendance plutôt à freiner le projet sans s’y opposer ouvertement. Le groupe Afrique avait adopté au début une attitude plutôt sceptique s’interrogeant sur l’universalité des disparitions : ce système de réception ne serait-il pas au fond plutôt un problème exclusivement latino-américain ? . L’homogénéité du groupe Afrique s’est fissuré par la suite lorsque le Maroc s’est prononcé en faveur du projet. Le groupe occidental (Europe, Etats-Unis, Australie, Nouvelle Zélande etc.) était divisé. L’Allemagne notamment était hostile au projet pour des raisons de compatibilité avec les lois existantes allemandes. Les États Unis étaient quant à eux pour des raisons politiques liées notamment aux méthodes employées par leur gouvernement dans la lutte contre le terrorisme.
L’adoption de ce projet constitue donc un véritable tour de force compte tenu du contexte international.



Le texte

Le préambule est volontairement très court selon la volonté du président du groupe de travail.

La première partie est consacrée à :
La définition des disparitions forcées et de leur qualification en droit.
La répression (reposant pour l’essentiel sur des mécanismes nationaux et sur l’entraide judiciaire)
La lutte contre l’impunité
La prévention (règles sur la détention )
Le droit des victimes

La seconde partie porte sur les mécanismes de contrôle notamment avec la création d’un Comité d’experts

Certains points méritent d’être commentés


L’article 1 créé un nouveau droit auquel les États parties ne pourront déroger : celui de ne pas être soumis à une disparition forcée.
L’article 2 porte sur la définition même de la disparition forcée qui a été âprement discutée :
Quel est l’auteur de la disparition ?
Si l’on se réfère à tous les textes antérieurs concernant les disparitions forcées, l’auteur ne peut être qu’un agent de l’État ou toute personne ayant délégation de l’État (le groupe paramilitaire dirigé en sous main par l’État par exemple).
Cette insistance à restreindre la définition de l’auteur présumé de la disparition comme devant être un agent de l’État est bien sûr liée à l’ expérience latino-américaine.
La définition généralement admise en droit international qui consacre la responsabilité uniquement à l’État officiellement reconnu au niveau de la communauté internationale, ne prend pas en compte la complexité croissante des conflits (au Sri Lanka, en Colombie, aux Philippines, en Algérie par exemple) au cours desquels des groupes armés qui contrôlent parfois une grande partie du territoire, créent une administration parallèle qui rend notamment la justice et qui gère parfois même des prisons.


L’idée de procéder à un changement de définition heurtait les ONG latino-américaines et comportait un risque : celui de l’instrumentalisation.
Par exemple, les Russes n’ont cessé de mettre en avant les acteurs non-étatiques pour essayer d’englober les rebelles tchétchènes dans la définition.
Un compromis a finalement adopté :
l’article 2 reprend bien la définition classique en liant l’infraction à un agent de l’État
l’article 3 précisant que « Tout Etat partie prend les mesures appropriées pour enquêter sur les agissements définis à l’article 2 commis par des personnes ou des groupes de personnes agissant sans l’autorisation, le soutien ou l'acquiescement de l’Etat et pour
traduire les responsables en justice ».



L’autre problème soulevé lors de la rédaction de la définition porte sur la question de savoir si les disparitions forcées constituent un crime contre l’humanité. L’article 5 est donc le fruit d’un compromis pas tout à fait satisfaisant sur cette question. Les États étaient très divisés sur cette question. Les pays ayant déjà reconnu la compétence de la Cour pénale internationale étaient d’autant plus favorables à cette idée dans la mesure où les statuts de cette Cour ont précisément, et ceci pour la première fois, consacré les disparitions forcées comme crime contre l’humanité. L’article 5 finalement ne crée pas de nouveau droit international et sa formulation est tautologique :
« La pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité tel que défini dans le droit international applicable et entraîne les conséquences prévues par le droit international applicable. »
Alors que dans les statuts de la Cour pénale internationale, un seul acte de disparition forcée constitue un crime contre l’humanité, l’article 5 du projet de convention qualifie les disparitions forcées de crime contre l’humanité uniquement dans le cas où il s’agit de pratique généralisée ou systématique.



L’impunité, la prescription et l’amnistie

Ces questions ont été centrales pour les ONG. Intrinsèquement, les disparitions forcées sont une pratique organisée autour de l’impunité des responsables qui constitue pour ces derniers un formidable encouragement à perpétuer leurs méfaits.
Concernant la prescription, l’idée centrale était de prendre en compte que la disparition forcée est un crime continu et donc le délai de prescription doit être suspendu tant que le corps de la personne n’a pas été retrouvé. Ce principe acquis dans la déclaration de 1992, a été finalement repris, non sans quelques réticences, dans l’article 8 du projet de convention.
Quant à l’amnistie, le principe consiste à ce que la société accorde son pardon aux auteurs des infractions. L’expérience des régimes latino-américains a démontré que l’amnistie pouvait être utilisée de façon abusive. De nombreux responsables de régimes militaires ont monnayé leur départ en exigeant de leurs successeurs que les crimes pour lesquels ils pouvaient être éventuellement poursuivis, fassent l’objet d’une amnistie générale.


Pour que ce nouveau dispositif conventionnel se révèle véritablement dissuasif au titre de prévention, il eût fallu que la pratique de l’amnistie soit strictement encadré.
La France qui jusqu’à présent avait soutenu de nombreuses propositions des ONG, n’a pas jugé opportun d’adopter un dispositif contraignant contre l’amnistie jugeant que trop de rigueur sur cette question pouvait aboutir à un rejet global du projet.
Le préambule de la convention stipule toutefois « le droit des victimes à la
justice et à la réparation et le droit de savoir » qui constituent précisément les trois piliers dits « Joinet » sur l’impunité.
Conjugué avec l’article 8 qui précise « Tout Etat Partie garantit le droit des victimes de disparition forcée à un recours effectif pendant le délai de prescription », on peut raisonnablement estimer que ce projet de convention reste toutefois un mécanisme efficace pour combattre l’impunité des responsables de disparitions forcées.


Si la transformation de la Commission des droits de l’homme en Conseil des droits de l’homme constitue une opportunité pour réformer les mécanismes onusiens, il n’en reste pas moins qu’elle comporte une part de risque pour l’avenir de ce projet de convention.
En effet, certains États ne seraient pas fâchés que la mise en place du nouveau Conseil des droits de l’homme permette de remettre à plus tard l’examen de ce projet en espérant qu’au bout du compte celui-ci soit oublié. (1)


(1) le texte a été adopté par le Conseil des droits de l’homme le 21 juin 2006
le texte de la résolution :
/HRC/1/L.10
page 31
VI. RÉSOLUTIONS ADOPTÉES PAR LE CONSEIL À LA FIN
DE SA 21e SÉANCE, LE 29 JUIN 2006
2006/1. Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
Le Conseil des droits de l’homme,
Rappelant la résolution 47/133 de l’Assemblée générale, en date du 18 décembre 1992, par laquelle l’Assemblée a adopté la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en tant qu’ensemble de principes qui doivent être appliqués par tous les États,


Rappelant également la résolution 2001/46 de la Commission des droits de l’homme, créant le Groupe de travail intersessions, à composition non limitée, chargé d’élaborer un projet d’instrument normatif contraignant pour la protection de toutes les personnes contre
les disparitions forcées, et la résolution 2005/27,
Prenant note du rapport E/CN.4/2006/57 du Groupe de travail et de la décision du Groupe
de travail de conclure ses travaux et de transmettre le projet de convention internationale pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées à la Commission des droits
de l’homme pour adoption,


Saluant la proposition de la France d’accueillir à Paris la cérémonie de signature
de la Convention,
1. Adopte la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes
contre les disparitions forcées, qui figure en annexe à la présente résolution;
2. Recommande à l’Assemblée générale d’adopter la Convention internationale
pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées;
A/HRC/1/L.10
page 32
3. Recommande que la Convention, une fois adoptée par l’Assemblée générale,
soit ouverte à la signature au cours d’une cérémonie de signature à Paris;
4. Recommande à l’Assemblée générale d’adopter le projet de résolution suivant:
«L’Assemblée générale,
Prenant note de la résolution 2006/1 du Conseil des droits de l’homme, en date
du 29 juin 2006, par laquelle le Conseil a adopté la Convention internationale pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,
1. Se félicite que le Conseil ait adopté la Convention internationale pour
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées;
2. Adopte et ouvre à la signature, à la ratification et à l’adhésion
la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre
les disparitions forcées, dont le texte est annexé à la présente résolution;
3. Recommande que la Convention soit ouverte à la signature au cours
d’une cérémonie de signature à Paris.».
21ème séance
29 juin 2006
[Adoptée sans vote.]

Le texte de la convention est téléchargeable à l’adresse suivante :
http://acatparis5.free.fr/html/modules/mydownloads/visit.php?cid=12&lid=54











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