Menu Principal
Index thématique
Recherche sur le site
Les articles les plus consultés
Page « 1 (2) 3 4 »
La question du genre : Des femmes tondues à la Libération par Fabrice Virgili
Posté par acatparis5 le 25/5/2009 10:31:59 (4287 lectures)


Qui est visé ?


Ce châtiment touche-t-il uniquement des femmes jeunes ?


La moyenne d'âge est 27 ans. 27 ans c'est jeune mais ce n'est pas la toute jeune fille. La fourchette s'étendant de 16 à 69 ans. On pense souvent qu'il s'agit de femmes de condition modeste et que les femmes de la bourgeoisie et de milieux privilégiés auraient été épargnées. On retrouve effectivement des femmes de condition modeste qui travaillent auprès des Allemands comme lingères, cuisinières mais très peu de femmes issues du milieu ouvrier. En effet, le milieu ouvrier de l'époque fonctionne sur le principe d'une surveillance collective de la communauté entre elle et cela rend les femmes beaucoup moins isolées de leur milieu. Mais on rencontre beaucoup d'institutrices et je me suis beaucoup interrogé sur ce fait.


En fait, la clé d'explication de ce phénomène de collaboration c'est la proximité avec les Allemands. Or, précisément, la pièce généralement réquisitionnée pour loger un allemand c'est soit l'école soit la mairie. Les institutrices ont donc été plus que toute autre catégorie sociale, en contact avec des soldats allemands.


L'institutrice va donc être amenée à vivre à proximité d'un allemand pendant plusieurs années. Pour cela, elle est donc d'emblée considérée comme suspecte par la population.


À l'inverse, les prostituées sont épargnées, même si par ailleurs les injures liées à la prostitution sont couramment utilisées. On considère alors que cela fait partie de leur métier et qu'elles n'ont donc pas le choix. Il faut rappeler qu'à l'époque la prostitution bénéficie d'un régime contrôlé et que les prostituées sont « encartées ».


Le lien entre châtiment et relation sexuelle est donc loin d'être évident.


J'ai constaté par ailleurs que la moitié des femmes n'avaient pas été tondues au titre de la « collaboration horizontale », formule triviale mais très couramment employée alors, mais pour dénonciation, pour participation à des organisations collaborationnistes, pour travail pour l'ennemi. En d'autres termes pour des motifs identiques à ceux reprochés aux hommes.


Pourtant, la mémoire collective n'a retenu que la tonte infligée aux femmes qui étaient accusées d'avoir eu des relations sexuelles avec l'ennemi.


Cela signifie que nous avons à faire à une société qui ne peut envisager qu'une femme puisse s'engager autrement que par insouciance, par obéissance à un mari, ou par appât du gain.


C'est un processus de dépolitisation de l'engagement féminin qui ne peut être considéré autrement que de nature sexuelle. Dans l'analyse des motivations des femmes qui rejoignent la résistance, on va également dépolitiser leur engagement : on évoquera par exemple le besoin de remplacer un mari ou un frère absent.


C'est par référence à une fidélité à l'homme que la société va expliquer que les femmes collaborent ou bien s'engagent dans la résistance.


La tonte est en définitive le châtiment supplémentaire infligé aux femmes au nom d'une collaboration quelle qu'en soit la nature.


Comment châtie-t-on ?


On rencontre plusieurs cas de figures.


L'image la plus répandue est celle la tonte publique et le besoin nécessité de montrer ce châtiment au plus grand nombre. On prend à témoin l'ensemble de la population qu'elle soit villageoise ou urbaine. Le spectacle de l'humiliation et de la dégradation se déroule en direct.


Mais il y a aussi le cas de la tonte pratiquée dans la clandestinité, la nuit sans témoin. Là, l'humiliation a lieu en différé.


Au moment de la Libération, toutes les tontes ne se déroulent pas sur place publique parfois aussi à l'abri des regards à l'abri des regards dans les prisons et dans tous les lieux qui servent d'internement provisoire. La Libération est par ailleurs le moment par excellence du provisoire : les Allemands sont partis mais les nouvelles autorités ne sont pas encore en place.


Ce sont des moments confus de plusieurs jours où l'on ne sait pas toujours qui représente le pouvoir et quel pouvoir. On agit dans l'urgence, on arrête des gens et on les place dans des lieux provisoires de détention, les mairies, les écoles, nous sommes au mois d'août et les élèves sont en vacances. D'autres tontes ont lieu également à domicile.


Dès lors, soit on montre les victimes au moment même de la tonte sur la place publique soit on les fait défiler après dans les rues quand elles ont été tondues dans un lieu clos.


Des centaines de photographies, et pas uniquement celle de Robert Capa, témoignent de ces défilés qui se déroulent sur les principales places publiques (la mairie, l'église, la Canebière pour Marseille, le Boulevard St Michel pour Paris…). Il s'agit d'un processus de réappropriation de l'espace public. Les tontes ne sont pas isolées du reste de la Libération. On met à sac les locaux collaborationnistes, on arrache les plaques « rue du Maréchal Pétain », les affiches de la propagande allemande, on va se recueillir devant le monument aux morts, on va écouter le discours du président du comité local de la Libération, on va tondre des femmes, on va insulter des prisonniers, on va danser, on va chasser les derniers soldats et les derniers collaborateurs qui se cachent. Tout cela se mêle dans ces journées. On assiste à une véritable explosion de joie mais aussi dans le même temps à une volonté de s'en prendre à ceux que l'on considère comme ayant trahi, hommes comme femmes. Certaines villes ont connu deux libérations : la ville se libère, les Allemands reviennent et la ville se libère ou est libérée une seconde fois. La Libération, ce n'est pas encore la paix, c'est un moment charnière : c'est encore la guerre mais cela se rapproche de l'après-guerre avec l'idée que l'on est en train de s'en sortir. Mais les tontes font partie de cette urgence : dès la Libération, il est considéré urgent de s'en prendre aux collaborateurs en les arrêtant, en les tabassant, en les exécutant, et pour les femmes, en plus en les tondant.


Page « 1 (2) 3 4 »
Format imprimable Envoyer cet article à un(e) ami(e)